Le langage des chevaux, texte poétique de Bertrand Redonnet
Par Deny Fady le mardi 17 avril 2007, 23:50 - General - Lien permanent
En me promenant sur le web (je crois bien que c'était à propos de cocher
d'ailleurs), je suis tombé sur le blog d'un citoyen du monde, français de naissance et exilé volontaire
en Pologne, qui se souvient des chevaux de son pays dans un billet sur le langage de nos compagnons de culture
qui m'a bien plu.
Après autorisation de l'auteur (merci Bertrand), je vous livre ici ce texte...
Vous pouvez retrouvez l'auteur poète sur :
http://www.letempsecoute.blogspot.com/
Au pays et ses chemins de pierres où cahotaient mes premiers pas, vivaient aussi de fiers et robustes chevaux.
Ils tiraient la charrue sous les cieux tourmentés de novembre ou menaient la charrette par des champs humides, aux clairs matins d’avril.
On les conduisait à la voix. C’était « hu-o » et ils avançaient, c’était « hue » et ils prenaient le chemin de droite, c’était « dia » et ils bifurquaient sur celui de gauche et c’était enfin un « woooooo », long comme une blanche pointée.
Alors les chevaux s’arrêtaient.
Mais, secouant le harnais, ils avançaient encore d’un pas jusqu’aux buissons et de leurs grosses babines retroussées arrachaient des bouquets d’épines que leurs longues dents jaunes et déchaussées par le mors entravées, mastiquaient bruyamment en une écume verdâtre.
Ces chevaux avaient une langue.
Je veux dire qu’ils entendaient un langage. Comme l’enfant du berceau. Est-ce à dire qu’ils avaient une conscience ?
Plutôt un récipient pour stocker quelques mots ?
Ces onomatopées d’un monde oublié me sont revenues en ce lointain pays et je les ai entendus, les conducteurs de ces plaines et des forêts, menant d’immenses chevaux rouges, masses impressionnantes de muscles et de force et qu’on m’a dit être ceux montés jadis par les effroyables chevaliers teutoniques, terreurs des villageois, exterminateurs incendiaires des campagnes.
Le christianisme au bout du glaive à coups de têtes tranchées qui roulaient dans les herbes rougies.
Ces grands chevaux là n’entendent ni « hue », ni « dia » ni même l’impératif « woooooo.» Pourtant ils tournent à droite et prennent à gauche et ils reculent et ils s’arrêtent. « Wio, wio » ponctué d’un bruit de bisou pour partir et un long « prrrrrrrr » pour arrêter tout net.
Ils reculent aussi sur un vocable étrange « Nazad. » Ce sont des chevaux slaves.
Leur récipient est slave.
J’ai voulu caresser le bout de leurs grands museaux où fumaient deux farouches naseaux plus doux que le velours. Mais en quelle langue ?
Au-dessus pérorait un pinson sur la branche en bourgeons. Je ne le voyais pas tant le ciel étincelait mais je savais que ce chant sortait du petit poitrail rose d’un mâle. Dans ces trois notes, inlassablement répétées, j’ai entendu les couleurs des marais et l’odeur des marées.
Mais il est vrai que les hommes ne parlent pas aux oiseaux.
Alors, des plages de l’océan aux frontières de la steppe, ils pépient une chanson qui m’a semblé universelle.
L’exilé cherche partout des sons qui le ramèneraient chez lui.
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