Dans nos précédents billets, nous avons appris à connaitre un peu mieux les bassins du port d'Anvers, nous allons nous intéresser aujourd'hui aux travailleurs de ce port.

Et d'abord à leur mode d'organisation collective : les corporations et les nations...
Mais de quoi s'agit-il ?
Je n'ai pas trouvé d'infos vraiment complètes à ce sujet, seulement quelques articles dont j'ai tenté de faire une synthèse que voici :

Les corporations ou "métiers" :

Les travailleurs manuels s'organisent en association, sur le modèle des gildes de marchands. Chaque corps de métier crée sa corporation. La plupart datent du XIIIe siècle, et certaines sont fondées à l'initiative même des autorités de la ville.

Tout comme les gildes, les métiers forment une sorte de communauté fraternelle, à caractère religieux, qui développe la solidarité entre ses membres. Certaines corporations ont une origine militaire. Les métiers sont dirigés par un doyen, choisi par les membres ou désigné par les autorités de la ville.

Dès qu'une corporation est reconnue par l'administration urbaine, elle obtient le monopole de fabrication dans son secteur. L'artisan qui veut exercer tel ou tel métier doit obligatoirement devenir membre de la corporation concernée.

Le candidat artisan doit d'abord faire son apprentissage (de 1 a 4 ans) chez un maître. Puis il devient compagnon, toujours au service du maître. Il lui faut ensuite accomplir son " chef d'œuvre" et verser une contribution en argent, pour devenir maître à son tour. La somme est plus élevée pour les "extérieurs" que pour les fils de maître. Il s'agit de décourager les nouveaux venus. De nombreux compagnons restent ainsi leur vie entière au service d'un maître.

Les corporations interdisent la concurrence entre les membres. Elles fixent les règles en matière d'utilisation des matériaux, de techniques, de conditions de travail et de prix de vente. Elles contrôlent la qualité. Chaque produit doit satisfaire à des normes strictes.

Lorsque la production s'écoule dans la ville même ou à proximité, la corporation peut se maintenir (boulangers, bouchers, poissonniers, dockers). Dans le cas de produits exportés, la pression de la concurrence étrangère menace ce système de production.

Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, les corporations jouent un rôle dominant dans l'économie et la politique urbaine.

Le cas des Nations sur le port d'Anvers :

Les Nations constituent à Anvers, une catégorie caractéristique.
Ce sont les associations héritières des corporations de dockers d'Anvers, (...) qui ont adopté le statut coopératif. Si ces entreprises ont gardé un certain temps des caractéristiques des anciennes corporations, elles sont devenues au cours du siècle des entreprises classiques, même si les règles d'embauche sont restées particulières.
Chacune est spécialisée dans une ou plusieurs marchandises, ou dans le travail sur un quai particulier.
Le nombre de travailleurs des "Nations" au port d'Anvers est en 1906 : 1000, de 1907 à 1912 : 5000, de 1919 à 1923 : 14000. Tiré de "LA COOPÉRATION EN BELGIQUE, TENTATIVE D'ÉVALUATION GLOBALE", JEAN PUISSANT, 1991

Voici aussi une réponse de Xavier Languy, à une question sur le rôle des "Nations" que j'avais posé sur le site des cartophiles belges :
"Sous le nom de "natie", "nation" on désigne à Anvers des associations ayant pour objet propre et essentiel le camionnage et le transport des marchandises au port et les opérations connexes telles que : mesurage et pesage, réparation d'emballage, aération de grains, balayage des peaux salées etc...(exemple Katoen Natie : la nation du coton). En principe donc tous les chevaux du port appartiennent à une de ces nations.

Confirmation par Willy Mertens, suite à une question posée sur la liste hippomobile@yahoogroupes.fr.
En flamand on les appellent Natiepaarden - ça veut dire les "chevaux des nations".
Ils étaient là en train de faire les transports du port (le quai de l'Escaut et les premiers docks (dock Bonaparte que Napoléon a fait construire), dock Willem (le roi de Hollande entre 1815 et 1830)...
Aujourd'hui les nations sont les entreprises que font le commerces à Anvers.
La plus grande aujourd'hui c'est le Katoennatie - (dans le temps la nation que s'occupe du coton).
Le nom indique le commerce: par exemple houtnatie - nation du bois, vlasnatie - nation du lin, wijngaardnatie - nation du vin, mexiconatie - nation du mexique...
Chaque nation avait ses propres chevaux, d'où le nom "chevaux des nations"

Autre information sur le travail des dockers : "Le port d’Anvers connut longtemps un nombre de problèmes d’ordre structurel qui furent difficiles à résoudre en un tour de main. L’embauchage se déroulait en plusieurs endroits de la ville et donnait lieu à toutes sortes d’abus. C’est toutefois le manque de stabilité financière qui semble avoir été le plus grand fléau au port d’Anvers.
Le docker Anversois n’était qu’un ouvrier payé à la journée, qui, à cause notamment d’un contingent trop important et d’un système de recrutement défectueux, ne pouvait très souvent travailler que 2 à 3 jours par semaine, ce qui ne lui permettait pas de toucher une semaine suffisante.
Au début du 20e siècle, ces problèmes structurels furent à la base de nombre d’actions de grève.
Par leurs débrayages, les ouvriers portuaires exprimèrent leur mécontentement à l’égard des abus auxquels ils étaient confrontés quotidiennement".
Tiré de "Le docker anversois: militant de nature ?" de STEPHAN VAN FRAECHEM, 1992

A mon avis, les Nations possédaient les chevaux et leurs meneurs étaient réguliers (comment en serait-il autrement ?)
Les Nations prenaient le marché de déchargement du bateau, proposaient les chevaux, les meneurs et les chariots et recrutaient les autres débardeurs (docker affectés à la manutention) à la tache et à la journée.
Les Nations fournissaient aussi les contremaîtres et les contrôleurs (les fameux "natiebaas" patrons des nations) que l'on peut voir sur de nombreuses photos.
Sans doute les meneurs, comme les cochers des Omnibus parisiens et plus tard les "roulants" (conducteurs de train) de la SNCF étaient des privilégiés au sein des Nations.


Anvers - Scènes du Port - Débardeurs opérant sous la surveillance du "Natiebaas"