Point de vue sur le cordeau, par Pierre Demerville, charretier entre 1936 et 1951, recueilli par Marcel Mavré (in Attelages et Attelées, 2004, Edit La France Agricole, isbn : 2-85557-115-4, 35€)

« A mes débuts, il m'arrivait pour pouvoir suivre de mordre presque un corps de herse « zig‑zag » sur le hersage fait par le copain de devant parce que je ne maîtrisais pas encore le métier : utiliser à bon escient, soit la voix, soit le cordeau, et ça cela ne s'improvise pas, c'est toute une « science » un métier long à apprendre finalement !
A mes débuts les « collègues » étaient durs avec les apprentis; on me faisait remarquer que si toute l'équipe travaillait comme moi, ce n'était pas 4 jours qu'il faudrait pour herser la pièce mais 8 !
Aucune excuse, aucune réplique n'étaient admises de la part du débutant, j'avais seulement le droit de méditer, de réfléchir sur mes erreurs, mes manques pour progresser; il me fallait « affiner » ma manière de mener au cordeau et de trouver la bonne coordination comme l'on dit aujourd'hui entre la « ficelle », la voix et le silence !
Oui, le silence car quand ton « attelée » « carbure » à fond il faut la laisser aller et pas secouer le cordeau de façon intempestive et pas « gueuler » pour le plaisir de se montrer, avec des chevaux dressés, rompus à un travail harassant il fallait seulement beaucoup de doigté avec le « cordon »...
Non mon gars, la (les) guide (s) c'est pour conduire un seul cheval et encore dans les brancards d'une voiture !
J'ai jamais connu de grandes exploitations qui faisaient travailler leurs « attelées » autrement qu'avec le cordeau.
Tu te rends compte du tas de ficelle indispensable s'il avait fallu mener aux guides façon « apparat » !
Je le répéterai jamais assez, l'emploi du cordeau c'était la façon la plus moderne, la plus performante comme on dit de nos jours pour mener efficacement une équipe « d'attelée »...
En revanche pendant le milieu de la guerre quand il n'y avait plu, d'essence pour les autos remisées pour plus de 5 ans sous les hangars ou dans les garages, on est revenu pour un temps au cabriolet des années 1910 polir certaines courses en ville, là on mettait les guides ; moi j'ai toujours comparé la conduite avec les guides à la conduite d'une auto !
Avec les guides tu n'as pas de liberté d'action, tes 2 mains sont prises et puis pour la sécurité comme on la veut aujourd'hui rien ne vaut le cordeau ; si tu le lâches, la « corde » ne risque pas de s'accrocher ou de se bloquer sur un obstacle, il glisse, se faufile, n'accroche pas... Une paire de guides, c'est autre chose !
Tu me dis mon gars, qu'en Amérique, les guides sont en deux morceaux, séparés en deux ? Alors ça c'est bien, mais pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple, hein, dis moi un peu ! Quand une « ficelle suffit !
Mon gars, le cordeau a été inventé pour que tu puisses suivre le travail des machines d'abord, car avec des chevaux bien rompus au boulot le cordeau ne sert qu'à rectifier au millimètre une trajectoire, à stimuler une « attelée » qui s'installe dans la paresse ; le cordeau, à force d'expérience, tu ne dois plus le sentir dans la main, il doit pouvoir te passer de la main gauche dans la droite et vice versa, d'instinct, naturellement, en fait tu dois le faire « disparaitre » de ta tête ; ainsi tu peux régler un semoir, débourrer une herse sans gêne aucune comme si tu n'avais plus rien dans les mains ; un vrai charretier ressent ça, toujours, après quelques années de pratique ... »

‑ Recueilli en 1989 ‑