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1. REDACTEUR : Bernadette LIZET
DATE DE LA REDACTION : 4 août 1999
2. INTITULE : Service de propreté hippomobile de la ville de Saint-Pierre sur Dives (Calvados).
Mots-clefs : Cheval municipal, nettoiement des rues, travail pluri-fonctionnel, médiatisation, tourisme, patrimoine rural, environnement, image des services techniques de la ville, pôle hippique, cheval de trait de sport.
3. ORGANISME
Ville de Saint-Pierre sur Dives
4. SOURCES D'INFORMATION
- Terrain (8 juillet 1999) : en mairie, entretien avec C. Lacour, secrétaire général, et Bruno Rible, responsable des Services techniques et des espaces verts ; avec l'attelage, les mêmes, et l'agent propreté voirie, responsable de l'attelage, Olivier le Métayer.
- Dossier de presse transmis par Bruno Rible.
5. DATES, DUREE, PERIODICITE DE L'OPERATION
Les mardi, mercredi, jeudi et vendredi, le matin, toute l'année.
6. REPERES HISTORIQUES, GEOGRAPHIQUES ET SOCIAUX
Saint-Pierre sur Dives, 4000 h, à 25 km de Lisieux et de Caen, est "un bourg typique du Pays d'Auge", isolé des grande villes de la région, exerçant un pouvoir d'attraction important (un très grand marché le lundi matin). Il possède des atouts touristiques : une belle abbatiale flanquée d'une grande halle médiévale, sur une place de 2 ha ; il bénéficie des classiques visites d'arrière-pays, lorsque le mauvais temps vide les plages de Cabourg. Il baigne, enfin, dans une culture régionale du cheval : la densité de haras de chevaux de pur sang est particulièrement forte en Pays d'Auge. La commune a conservé ses trois jours de courses annuelles (3° week-end d'août : galop, trot attelé et monté), une manifestation rustique, dans un herbage équipé d'une tribune des années 1940.
L'idée de réintégrer un cheval dans les services techniques de la ville a germé en 1993. C'est l'adjoint au maire chargé des travaux qui en eut l'initiative, et qui s'adressa aux services techniques pour la mise en uvre. A l'heure de l'environnement et du "tout patrimoine" dans la région (opération "Terroir et traditions du Pays d'Auge", développée ici le vendredi après-midi dans la cour du cloître, avec la création en 1995 d'un Jardin conservatoire municipal de fleurs et légumes du Pays d'Auge), c'était une opportunité pour le Service Propreté de renouveler son image, et celle des agents techniques : l'usage de la brouette, du balai et de la pelle y étaient devenus vexatoires. Les remplacer par un petit engin mécanisé? ... Problème de coût, mais aussi d'efficacité technique : "il y a des opérations manuelles, les petites réparations, voir les choses qui ne vont pas...". La bonne échelle et le bon rythme, ce serait donc la voiture attelée. L'image et l'identité rurale de la petite ville "typique" pourraient ainsi s'en trouver renforcées (on parle de "remettre un cheval en scène"). Un peu goguenard à l'annonce de ce projet, le Conseil municipal a tout de même voté pour. Le Haras du Pin (la plus prestigieuse des circonscriptions nationales) refusera par contre tout partenariat financier au titre de l'aide à l'achat (opération "Un cheval de trait par club hippique", réservée aux clubs et à l'installation professionnelle de particuliers). On n'apprécie pas beaucoup à Saint-Pierre la politique "américaine" du grand haras et son noir géniteur ; l'image traditionnelle du Percheron, c'est le cheval gris, lourd et pommelé.
Le raisonnement relatif à la gestion de l'image a montré sa pertinence : l'installation d'Uranie a déclenché un véritable rush médiatique, finement analysé par les acteurs. Le point de départ fut le cliché d'une photographe de l'AFP en 1993. Sujets "télé" et articles dans la presse régionale et nationale par dizaines (repris les uns sur les autres, et qui continuent de passer de temps à autre), contacts directs de maires et de "collègues" de voirie et d'espaces verts de toute la France : Uranie et son agent d'entretien voirie assurent un travail publicitaire imprévu, qui pérennise l'expérience, bien plus sûrement qu'une démonstration de l'efficacité technique.
7. ACTEURS
La Mairie de Saint-Pierre-sur-Dives, et plus particulièrement : C. Lacour, secrétaire général , Bruno Rible, responsable des Services techniques et des espaces verts et l'agent propreté voirie, responsable de l'attelage, Olivier le Métayer
8. DEFINITION DE L'ACTION
L'adjoint au maire connaît un marchand de bestiaux (bovins) qui "bricole" une jument percheronne à l'attelage. Il se prête au jeu, confie Reinette et une carriole de marché "typiquement normande" à l'essai. Des "morceaux d'équipage" sont trouvés dans les fermes de la région, et on embauche en CES un jeune chômeur nanti d'une expérience de palefrenier dans un haras privé de pur sang. La jument fait ses armes municipales; après une semaine de travail tranquille, elle s'énerve : la carriole normande portant les couleurs du service propreté de Saint-Pierre (une pancarte à l'arrière) emboutit une 2 CV dans le bourg, et provoque une peur bleue en s'emballant sur le marché de Lisieux. Reinette est rendue à son propriétaire, mais elle n'a pas laissé que de mauvais souvenirs. L'entreprise d'hippotraction municipale a été "sauvée par les gamins", qui "couraient tous dans la rue pour la voir". Sauvée sans nul doute aussi par la persévérance des promoteurs du projet, affrontant la résistance des anciens, dans un milieu rural encore très agricole, qui ont vécu l'aventure "comme un retour en arrière". Lors du concours annuel de modèles et allures de Percherons de Lisieux, l'adjoint au maire repère une jument bien classée, et surtout bien tranquille. Le propriétaire, agriculteur augeron (Saint Aubin le Bizet, région de Cambremer), décline l'offre. Il conserve sa petite écurie de concours et de travail (il organise des "journées cidre" à l'ancienne pour les touristes, ramasse les pommes avec un tombereau attelé, fait tourner la meule de granite à l'énergie chevaline, et fait ainsi la promotion de son cidre, son pommeau et son calvados). Il va pourtant se décider, car sa petite relève est assurée (la sur d'Uranie et la pouliche de l'année d'Uranie). Echaudés, le responsable des services techniques et l'adjoint au maire mettent une condition au marché : un essai-vérité. Ils partent donc seuls dans les chemins augerons avec la jument et son tombereau, et sans autre expérience de l'attelage que les problèmes précédents. Manuvres de dégagement pour laisser passer les camions, reculers, demi-tours serrés : affaire conclue, pour 11 000 f. Uranie, puissante percheronne de 9 ans et son poulain à naître, intègrent le personnel municipal. Non sans poser quelques casse-tête administratifs. Sur quelle ligne budgétaire inscrire la dépense en question? Où mettre la jument dans la grille ? Les décennies écoulées depuis la réforme du dernier cheval municipal (le dernier tirait le corbillard voilà trente ans) ont effacé le souvenir des anciennes pratiques, aussi bien dans la comptabilité administrative que dans la mémoire des agents, et des habitants.
Uranie dispose de deux prés (avec écurie, où elle ne va pas) appartenant à la mairie. L'agent qui devient son partenaire la fait sortir à 7h30 pour la préparer. Une toilette s'impose (elle est grise, elle aime les bains de boue) avant de la garnir (un harnais neuf, à bricole, fabriqué par un jeune bourrelier de la région). L'attelage arrive à pied d'uvre vers 10 h, pour revenir vers 12h. Le service ordinaire consiste à vider les corbeilles à papier disposées dans les rues, fignoler le travail de nettoyage des caniveaux - la balayeuse mécanique ne passe pas partout - ramasser les papiers et... se laisser photographier (plusieurs fois par jour en saison touristique). Satisfaire la curiosité du public aussi - des enfants tout particulièrement - sans trop retarder le rythme du travail. Il y a aussi la contribution du vendredi après-midi à l'animation dans la cour du Cloître (une promenade pour les enfants à 5f le tour, dans le cadre de l'action "terroir et traditions du pays d'Auge"), et la distribution de sacs poubelles dans tous les quartiers, deux fois l'an.
La jument débonnaire accomplit donc un travail tout à fait tranquille, qu'on peut qualifier de "familial". L'employé communal qui la promène dans les rues la considère d'ailleurs quasiment comme sienne ; il la nourrit et lui rend visite, le week-end, avec ses enfants, et ses remplacements de service (congés) ne posent aucun problème. A ce rythme paisible, la ferrure - classique, sans crampons ni tungstène - tient deux mois. Ce travail n'a nécessité aucune formation professionnelle en matière d'attelage pour l'agent d'entretien qui préfère d'ailleurs tirer Uranie par la longe, que de mener à proprement parler (aux guides, dans la voiture). Par contre, le technicien s'est piqué au jeu : il est devenu meneur, éleveur, et s'est intégré au réseau local des adeptes de l'attelage de loisir et de petite compétition douce. Il a nourri le projet d'assurer la promotion de la traction chevaline municipale par le biais des concours d'attelage. A commencer par celui qui a lieu tous les ans depuis 1995, sur la place de Saint-Pierre.
Car l'engouement médiatique sur le travail d'Uranie a également eu pour effet de transformer le bourg en pôle d'activités hippiques. En 1995 - l'année d'Uranie - le Conseil général du Calvados régionalisait la pratique nationale des "Journées du cheval" (instaurées par le Ministre de l'Agriculture en 1991) en "Equidays" (premier week-end d'octobre). L'agent du Conseil régional chargé du tourisme, voisin de Saint-Pierre et président d'une association de randonneurs équestres, propose à la commune d'héberger des épreuves de TREC (Techniques de Randonnée et d'Equitation de Compétition), d'endurance, et le Championnat départemental d'attelage des Chevaux de Trait, un concours familial organisé par l'Association des éleveurs-utilisateurs du Percheron en Calvados (une trentaine d'attelages). La liaison s'établit si bien qu'Uranie, menée au débotté par le technicien, participe à la petite compétition - dont le marathon présente l'originalité de se dérouler en ville, avec des obstacles disposés sur les 2 ha de la place. Le couple municipal reçoit une coupe pour le "premier prix en catégorie cheval municipal". Il était seul en piste, et ignorait qu'il jetait le fondement d'un projet qu'il entend mener aujourd'hui au plan national, dans le but de consolider la culture technique et la renommée de la traction chevaline retrouvée dans les villes.
Aujourd'hui, Bruno Rible est propriétaire de deux "Traits" (la fille d'Uranie, vendue à son regret par la commune après le changement de municipalité, en 1995, et un Breton sauvé par une association brestoise d'aide aux animaux). Et plusieurs voitures attendent la restauration dans son hangar.
Les Equidays ont prospéré : se sont greffés le marché aux chevaux et aux ânes, depuis 1997, (l'année de reconnaissance par les Haras nationaux de l'âne normand) et enfin une épreuve de traction au traîneau.
Le succès médiatique de la jument de travail municipale est donc à l'origine d'une véritable politique sportive et culturelle du cheval à Saint-Pierre.
Uranie a vu prospérer son image, et celle de la commune à travers elle. Mais pas sa progéniture : celle qui faisait le bonheur de son éleveur avec son poulinage annuel (fait plutôt rare en chevaux de trait) a cessé de "prendre" dès qu'elle a commencé son service communal ; il se pourrait qu'Uranie ait perdu sa fécondité par excès d'embonpoint.
9. CAVALERIE
Une jument percheronne de 15 ans, Uranie.
10. INSCRIPTION DANS LES RESEAUX
Voir rubrique 14
11. ASPECTS ECONOMIQUES
- Coûts d'investissement :
o achat d'Uranie, 11 000 f (dont il faut déduire la vente de sa pouliche, à l'automne 1995: 5000 f)
o la carriole : achat (5000 f) et restauration (4000f)
o les harnais : 4000f
- coût annuel d'entretien : 10000 f (nourriture, soins vétérinaires, ferrure, saillie)
Les promoteurs de " l'opération Uranie " soulignent bien la nécessaire prise en compte du gain d'image pour la commune (en équivalent publicité, l'investissement initial apparaît effectivement dérisoire).
12. PERSPECTIVES
Le responsable des services techniques a dû renoncer à des développements qui lui paraissaient souhaitables, vers un travail à temps plein dans le cadre des espaces verts de Saint-Pierre et même de Lisieux (arrosage, transport de matériel pour l'entretien de chemins). Ses idées se sont en effet heurtées à des habitudes de travail bien ancrées. En 1995, le changement de municipalité a bien failli provoquer la vente de la jument. Mais Uranie avait acquis trop de popularité et les retombées médiatiques avaient été si fortes qu'elle a "sauvé sa tête". Toutefois, "il n'y a plus de volonté d'aller plus loin". Un certain scepticisme s'est installé, avec le sentiment d'un risque permanent, et la nécessité de "remettre du charbon régulièrement". Le technicien a donc changé d'échelle d'analyse, et cherche à fédérer toutes les initiatives municipales concernant le travail avec des chevaux dans des villes de moins de 10 000 h.
Objectifs : tirer parti de l'expérience de chacun, identifier les forces et les faiblesses des pratiques, constituer une force économique et capitaliser l'acquis en élaborant un cahier des charges pour un matériel polyvalent (un plateau - la base commune - et des équipements adaptés à l'arrosage, au nettoyage) à adresser à des constructeurs français.
Stratégie :
- faire l'inventaire des réalisations, et des intentions (pourquoi les projets ne se réalisent-ils pas ?)
- étoffer la participation au concours d'attelage de Saint-Pierre, dans la catégorie "chevaux municipaux" (avec un règlement adapté)
- créer un petit média qui permettrait de capitaliser toutes les informations, d'échanger les points de vue et de "monter un maillage sur ces communes".
Chaque action pourrait ainsi sortir de l'isolement, se trouverait confortée pour faire face aux problèmes de blocages institutionnels (la routine dans les habitudes de travail des équipes techniques des villes), et d'instabilité chronique dans les projets municipaux (renouvellement politique).
Premiers contacts de villes intéressées par le projet d'un concours réunissant des animaux de travail municipaux : Rennes (voir la fiche correspondante), Millau, Paris (circonscription du Bois de Vincennes : voir la fiche correspondante) et aussi l'association pour l'Insertion en Pays de Falaise.
13. CONTACTS
Bruno Rible, Services techniques, Hôtel de Ville, BP 28, 14170 Saint-Pierre-sur-Dives, tél 02 31 20 73 28, fax 02 31 20 36 02
14. FICHES À CONNECTER (POUR POURSUIVRE LA RECHERCHE)
- Les "journées cidre" et autres activités d'attelage du naisseur-éleveur d'Uranie, Gérard Desvoyes (Pont-Audemer)
- La Société du Trait Augeron
- Le maréchal-ferrant et son réseau de chevaux de trait au travail
- La politique de valorisation touristique du patrimoine rural aux Conseils général et régional
- Les Equidays (et en particulier les concours d'attelage, de traction)
- L'Association des éleveurs et utilisateurs du Calvados
- L'association pour la Réinsertion en Pays de Falise
- Les municipalités qui ont pris contact avec Saint-Pierre pour reprendre l'expérience chez eux (Trouville, Millau, Nouvoitou, et l'ambassade d'Allemagne à Paris)
- Les municipalités qui ont déjà fait le choix de la traction animale pour le travail (services de la voirie, des espaces verts), avec un cheval (ou un âne, ou un mulet) municipal, ou en ayant recours à un prestataire de service : Antouillet (un âne Grand Noir du Berry), Rennes (une jument bretonne), Rambouillet (2 Boulonnais), Cabourg, Grand Quevilly, Ville de Paris (bois de Vincennes) etc.
15. SYNTHESE ET PISTES DE RECHERCHE
- L'expérience de réinvention de la traction chevaline municipale de Saint-Pierre sur-Dives est pionnière. Plusieurs fronts pionniers ont d'ailleurs existé indépendamment les uns des autres : une expérience comparable a démarré à Rambouillet en 1992
- Celle de Saint-Pierre-sur-Dives présente plusieurs grandes originalités :
o Elle a commencé par un raté technique (et médiatique) qui aurait pu bloquer l'initiative.
o Elle est caractérisée par une polyvalence des fonctions et des statuts du cheval de trait au travail (tâches techniques précises, image de ville protégeant son environnement, sa qualité de vie, ses traditions rurales de pays, revalorisant les tâches de nettoiement des rues).
o Après 30 ans d'interruption, le retour au cheval de trait municipal a plus précisément pour effet et objectif de renouveler l'image du service propreté de la ville, et de changer le statut de ses agents (revalorisés par le travail avec le cheval, attraction touristique et médiatique)
o Cette action s'est heurtée à une double résistance : celle des équipes d'employés municipaux, et celle des "anciens" du pays, qui y ont vu un "retour en arrière" : paradoxalement, la persistance d'une culture régionale du cheval de trait dans des tâches ordinaires se heurte à la ré-utilisation municipale. Une nouvelle image du cheval de trait, plus étroitement associée au patrimoine et à sa valorisation touristique doit se forger.
o Entreprise de modeste envergure, elle a connu un succès médiatique exceptionnel à l'échelle nationale (la comparaison avec le politique menée à Rambouillet serait intéressante à faire), ce qui a permis de sauvegarder l'action, qui aurait pu être compromise par un changement de municipalité.
o Les acteurs ont manifestement appris à gérer cette popularité publique, qui leur a permis de lancer une vigoureuse politique d'animation sportive et culturelle autour du cheval (toutes catégories chevalines) d'envergure régionale.
o Une politique organisée autour de la promotion de l'image de Saint-Pierre-sur-Dives, et d'une activité équestre centrée sur l'espace urbain (un marathon de chevaux de trait attelés qui se déroule dans les rues, avec le "final" des autres obstacles sur la grande place, un marché aux chevaux et aux ânes sur cette même place...).
- Les promoteurs du retour de la traction chevaline municipale en appellent à une mise en réseau des expériences, des compétences, et des attentes : pour une nouvelle culture de l'attelage urbain, résultant d'une connexion des réseaux sportifs et d'un travail "écologique"?
16. DATE DE VALIDATION PAR LES ACTEURS : 26 novembre 1999