Page précédente

Sommaire général

Retour sommaire rapport

Plan du site

Page suivante

Rapport "Chevaux de trait : le retour ?"

IV. VILLES

2. Fiches de terrain

Fiche N°9 : Débardage à cheval dans le Domaine national de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine).

 

 1. REDACTEUR : Bernadette LIZET

Date de la rédaction : 29 juillet 1999

 

2. INTITULE : Débardage à cheval dans le Domaine national de Saint-Cloud (chantier-école d'agents de l'environnement en espace boisé de l'association Espaces)

Mots-clefs : Tracteurs et gestion écologique, insertion sociale, réhabilitation écologique et sociale, pédagogie, animation, démonstration

 

3. ORGANISME

- Le Domaine national de Saint-Cloud, qui a signé en 1996 une convention avec l'association Espaces pour l'entretien des 187 ha boisés.

- Espaces, une association loi 1901 proche des écologistes, créée en 1994, sur le concept de "l'insertion par l'écologie" (réhabilitation conjointe du patrimoine naturel urbain et des personnes précarisées - les jeunes tout particulièrement - par la formation aux nouveaux métiers de l'environnement)

 

4. SOURCES D'INFORMATION

- Terrain (juillet 1999) : interview de l'administrateur du Domaine national (Bernard Notari), et du directeur d'Espaces (Yann Fradin); enquête sur le chantier (avec l'encadrant de chantier, Thomas Morichon, et les agents de l'environnement en espace boisé)

- Fiche technique d'Espaces, et articles dans sa revue, "L'écho-cantonnier"

 

5. DATES, DUREE, PERIODICITE DE L'OPERATION

Chantier-école annuel de 12 mois (novembre à octobre) pour une équipe de 12 agents d'environnement en espace boisé (bûcherons-élagueurs initiés au débardage à cheval), encadrés par deux personnes. Présence dans la forêt : lundi toute la journée, mardi, mercredi et vendredi après-midi; le jeudi est réservé à une formation générale assurée au Centre horticole d'Enseignement privé : élagage, écologie végétale, mécanique etc. ; le mardi matin est consacré à " l'accompagnement vers l'emploi ", assuré par l'association SRARTER. Depuis 1996.

 

6. REPERES HISTORIQUES, GEOGRAPHIQUES ET SOCIAUX

L'action a pour cadre général le massif forestier du Domaine national de Saint-Cloud, classé depuis 1997, propriété de la Caisse nationale des monuments historiques et des sites (CNMHS, ministère de la Culture), qui fait à ce titre l'objet d'un plan de restauration paysagère et de relance des prestations offertes au public (guinguettes, Ferme pédagogique, projet de poney-club etc.). Dessiné par le Nôtre, le Parc a été structuré autour de grandes allées et de carrés boisés très ouverts, un schéma que la reconquête forestière a effacé depuis longtemps. Un projet de rénovation a donc été conçu, qui restituera à Saint-Cloud l'ensemble de son patrimoine paysager, avec des carrés peuplés de boisement lâches plus favorables à la fréquentation du public. Dans leur état actuel, ils sont impénétrables et par ailleurs potentiellement dangereux (arbres trop hauts, filant vers la lumière, à l'assise fragile), et les visiteurs ne connaissent du Parc que ses jardins à la française. La séance de débardage du 12 juillet 1999 se déroulait dans l'angle nord-ouest du Parc, à proximité immédiate de l'autoroute A13 et du Pavillon du Piqueur, d'anciennes écuries des Haras Nationaux (en cours de restauration) qui sont devenues le siège de la Ferme pédagogique, ouverte au public en septembre 1998, avec le partenariat d'une autre association, Enfance de l'art.

L'administrateur du domaine a été intéressé par la proposition d'Espaces d'y entretenir les bois, ce qui permettait d'ouvrir un chantier-école d'insertion offrant une formation de bûcheron-élagueur à des jeunes précarisés (en majorité de 18 à 25 ans), sur des contrats Emploi-Solidarité, et dans la persepective de trouver des emplois (forêt et espaces verts). La première session s'est ouverte en janvier 1996, assurant une pré-formation qualifiante "d'agents de l'environnement en espace boisé" qui les initiait à la taille douce, respectant la morphologie et la physiologie des arbres (une spécialisation du corps des bûcherons-élagueurs qui s'est développée aux Etat-Unis).

Après démonstration et mise à l'essai, le débardage à cheval a été intégré lors du quatrième chantier (1998-1999), ce qui impliquait le recrutement de deux agents supplémentaires, employés à 3/4 temps à l'utilisation et à l'entretien de l'animal : les "agents-palefreniers" (palefrenières plutôt : ce sont deux jeunes femmes). Convaincu par l'expérience de la traction animale dans le Parc, l'administrateur a décidé que le Domaine en fasse l'acquisition : le spectacle du cheval au travail exprime sa volonté de réduire l'emprise du moteur sur le territoire du Parc (nuisances sonores et atmosphériques de l'autoroute, nombreuses voies ouvertes à la circulation automobile dans le Parc lui-même, puissants tracteurs utilisés dans l'entretien jardinier et forestier actuel). Dans le contexte actuel du changement de statut du site (classement), les prestations actuelles et escomptées du cheval de trait constituent un apport original au grand projet de revalorisation de son image. Difficulté à surmonter : une certaine passivité du corps des jardiniers, conditionnés pour les plus âgés d'entre eux par "quarante ans de culture motorisée".

L'association Espaces avait expérimenté la traction chevaline en 1998 et 1999, dans le cadre des journées Nettoyons la nature (en septembre) et Nettoyage de printemps (une action reproduite chaque année dans le Val de Seine, les 21 et 22 mars, depuis 7 ans, à l'instigation des écologistes de l'association Val de Seine Vert. Le débardage à cheval, en substitution au tracteur, est une innovation apportée par un jeune encadrant d'Espaces, au parcours original, combinant successivement les formations aux techniques d'exploitation forestière, à l'encadrement spécialisé (personnes en difficulté), et enfin au débardage à cheval (CFPPA de Brie Comte-Robert).

Un cheval de trait a donc trouvé place dans l'équipe d'encadrants et d'agents du chantier, renforçant la cohérence du projet initial d'Espaces, tant d'un point de vue de l'action technique (autonomie, sans tracteur, pour l'ensemble de la chaîne technique du travail en forêt : élagage, abattage, débardage et bûcheronnage) que du système de valeurs et de la stratégie politique et sociale de l'association (Y.F. : "créer de l'emploi et du travail, et aussi lutter contre le bruit et la pollution, créer du lien social, de l'animation, de la convivialité, redonner du sens au rapport à la nature"). La traction animale a d'ailleurs inspiré au directeur d'Espaces une stratégie spécifique sur l'animal - grands herbivores -, comme outil pour la gestion écologique (force de traction, pâturage contrôlé), et comme emblème de l'action "éco-citoyenne" (problématique du développement durable : réinstaller de la nature - sauvage, domestique - dans la ville, effacer la frontière urbain-rural).

L'activité de traction animale imaginée par Espaces et réalisée en étroit partenariat avec le Domaine de Saint-Cloud s'avère enfin jouer un rôle important dans une dynamique de développement local et d'animation d'équipes : des collaborations se sont établies entre Espaces et la Ferme pédagogique pour une pleine utilisation de l'animal, un scénario de formation au débardage à cheval implique tout à la fois le personnel encadrant d'Espaces, et l'ensemble du personnel de la Ferme pédagogique (association l'Enfance de l'art) et du domaine de Saint-Cloud : une certaine conception de la transversalité des savoirs et savoir-faire professionnels s'y dessine et s'y partage.

 

7. ACTEURS

- Acteurs institutionnels (cadre général du chantier-école) :

o le Domaine national de Saint-Cloud

o l'association Espaces

o partenariat financier multiple : la Caisse nationale des Monuments historiques et des Sites, de la Ville de Saint-Cloud et autres communes limitrophes, des Missions locales, de la Direction départementale du Travail et de l'emploi des Hauts-de-Seine, du Conseil général des Hauts-de-Seine, du Conseil régional d'Ile-de-France, du Fonds départemental d'Aide aux Jeunes, de l'Agence régionale de l'environnement et des nouvelles énergies (ARENE) et de la Direction régionale de l'Environnement d'Ile-de-France (DIREN), les Fondations Caisse d'Epargne, Novartis et MACIF.

- Acteurs individuels (directement impliqués dans l'activité de débardage à cheval)

o Thomas Morichon, animateur nature, encadrant de chantier (équipe permanente d'Espaces)

 

8. DEFINITION DE L'ACTION

- Diagnostic et stratégie d'intervention

La parcelle débardée le 12 juillet 1999 souffrait (comme partout dans le Parc) d'une densité trop forte d'arbres, menaçant tout à la fois la sécurité publique et l'avenir du peuplement (faible coefficient de stabilité), nécessitant une coupe d'éclaircie.

- Le chantier-école

Après martelage (effectué en collaboration avec le chef-jardinier du Domaine de Sainy-Cloud), l'abattage sélectif a eu lieu durant l'hiver 1998-1999, avec les agents de l'environnement. Le débardage est en cours; il est lent, et décalé par rapport à l'abattage, car la productivité n'est pas l'objectif prioritaire : il s'agit certes de traîner les grumes vers le lieu où les agents d'environnement les débitent à la tronçonneuse, et stockent le bois de chauffage prêt à être enlevé par les acheteurs d'une petite filière "bois de chauffage" qui s'organise; mais il faut aussi remettre la jument au travail, après un mois et demi de pré; il faut encore initier deux jeunes stagiaires, dont l'une fait ses armes ce jour-là, apprenant à attacher les grumes et les détacher, à bien choisir sa trajectoire, à combiner la conduite à la voix et au cordeau, à se faire obéir et respecter par l'animal; il faut encore encadrer le groupe des bûcherons du chantier (organiser et surveiller le travail). Si l'apprentissage du débardage avec un cheval est le fait des deux jeunes filles "agents palefrenières", l'ensemble du groupe en pré-formation a bénéficié d'une initiation, car la polyvalence constitue l'un des principes pédagogiques de l'association.

- L'animal au travail, facteur de restauration paysagère, écologique et sociale

Si l'on tire effectivement du bois avec la jument, on recrée surtout du paysage forestier, en ouvrant le peuplement trop serré et en lui redonnant une lisibilité. En y "remettant de la vie", dit l'encadrant de chantier : de la biodiversité, de l'activité humaine spectaculaire et sympathique pour les visiteurs ; mais également, de la capacité à échanger, à nouer des relations sociales pour les agents de l'environnement d'Espaces. Cet apprentissage technique est d'autant plus à même de redonner des repères et une capacité à imaginer l'avenir qu'elle s'accomplit avec un très grand animal, intelligent et puissamment réactif, dont l'attitude reflète la capacité de l'agent en insertion à manifester une volonté clairement exprimée, et à persévérer dans ses efforts. C'est là où réside la principale difficulté : la plupart décrochent rapidement.

Pour l'administrateur du Domaine, désireux de socialiser sa forêt, c'est la présence du couple homme-animal au travail qui compte (plus que le travail effectif lui-même, au moins à ce stade de l'expérience, et plus que les bénéfices écologiques escomptés). Les séances de débardage sont autant de "démonstrations" pour un public très intéressé, mais souvent interloqué : le travail est d'autant plus lent qu'il faut s'interrompre souvent pour expliquer que l'animal n'est pas maltraité. Réapprendre, en fait, les gestes du travail accompli avec l'animal de trait, qui faisaient partie du quotidien des citadins des années 1930.

- Les soins à la jument

C'est à la Ferme pédagogique qu'elle a son gîte, un petit pré avec abri à la belle saison (qu'elle partage avec une vache), un boxe en hiver (qu'elle partage avec un bélier).

Elle est ferrée tous les deux mois par un maréchal-ferrant opérant sur le secteur (poneys-club, Haras de Jardy). Coût : 500 f : un poste onéreux (à la charde du domaine), mais qui s'impose, pour traiter les seimes provoquées par les séjours au pré.

Alimentation : 12 l d'orge applati par jour lorsqu'elle travaille au bois (avec un complément d'avoine lorsque la tâche est dure)

Gitane a été livrée avec son harnais de travail (d'occasion, et qui lui va donc bien)

- Connexions autour de cette expérience de traction animale

Une complémentarité s'est établie avec la Ferme, qui utilise Gitane pour des animations pour les enfants (alimentation, utilisations, sensibilisation au statut de race en déclin). Elle travaille ainsi actuellement 8 h par jour, toute l'année. En vue d'une diversification de ses tâches de traction (voir paragraphe 12), un scénario de formation autour de la jument, assuré par l'ancien propriétaire de Gitane, implique d'ores et déjà le personnel encadrant d'Espaces, et l'ensemble du personnel de la Ferme pédagogique, et plus largement, du Domaine de Saint-Cloud : un esprit d'équipe ouverte et souple, une certaine conception de la transversalité des savoirs et savoir-faire professionnels s'y dessinent et s'y partagent.

 

9. CAVALERIE (nombre, sexe, race, âge, race, type, fonction reproduction)

Gitane, une jument de 5 ans croisée percheronne-ardennaise, propriété du Domaine national de Saint-Cloud depuis juin 1999. Propriété du débardeur-enseignant J-F C, elle avait commencé sa carrière de débardage au CFPPA de Brie Comte-Robert : exempte de tout vice, elle était la partenaire idéale pour la semaine d'initiation apportée à l'ensemble des filières du Centre. Elle présentait donc l'avantage d'être jeune, paisible et courageuse au travail à la fois, et habituée à changer de main : la situation actuelle ne la dépayse pas.

 

10. INSCRIPTION DANS DES RESEAUX

Voir paragraphe 12

 

11. ASPECTS ECONOMIQUES

L'évaluation de l'efficacité du travail avec le CT ne s'effectue pas en termes économiques classiques : au travers de cette action, l'administrateur du Parc fait connaître au grand public sa politique de requalification paysagère du site : une énergie douce - silencieuse, sympathique - pour façonner et gérer un bois laissé à l'abandon.

 

12. PERSPECTIVES

- Au-delà du débardage, l'administrateur de Saint-Cloud envisage, avec la collaboration d'Espaces, un retour progressif au moteur animal pour les transports lents dans les travaux d'entretien du Parc : ramassage du bois et des poubelles, roulage du fumier (un projet qui pourrait entraîner la création d'une petite écurie de chevaux de service, mais qui crée quelques tensions avec l'équipe de jardiniers)

- La promenade en calèche est envisagée, mais pose le problème de la sécurité du public transporté, et donc d'une formation spécialisée de cocher

- Dans le cadre de la Ferme pédagogique, une diversification de tâches et d'activités s'organise : roulage de l'eau pour les poneys, installation d'un pré commun sur des surfaces d'espaces verts (en remplacement de la tondeuse)

 

13. CONTACTS

- Bernard Notari, Grille d'honneur, Domaine de Saint-Cloud, 92210 Saint-Cloud. Tél 0141120290 ; fax 0147713820

- Yann Fradin, directeur de l'association Espaces, Thomas Morichon, encadrant de chantier

265 bis quai de Stalingrad, 92130 Issy-les-Moulineaux, tél. 0141906680, fax 0141906689. Mel espaces@globenet.org

 

14. FICHES À CONNECTER (POUR POURSUIVRE LA RECHERCHE)

- Ferme pédagogique du Domaine national de Saint-Cloud

- Formation débardage à cheval de Brie Comte Robert

- Journées de nettoyage réalisées par Espaces : "Nettoyage de printemps", "Nettoyer le monde"

- Stratégie de l'animal de l'association Espaces (tracteur écologique de puissance variable : Cheval de trait, âne et poney; gestion diférenciée par le pâturage contrôlé : moutons, chèvres, poneys. Le berger urbain et péri-urbain : un nouveau métier de l'environnement?)

 

15. SYNTHESE ET PISTES DE RECHERCHE

- Le chantier-école d'agents de l'environnement en milieu boisé d'Espaces, en liaison avec la Ferme pédagogique du Parc de Saint-Cloud, est un cas de figure emblématique de projets conçus au titre du développement durable, et en particulier du type d'actions portant sur la "requalification" du paysage : une restauration écologique, sociale et culturelle.

- Le débardage à cheval parachève le projet d'Espaces. L'arrivée de Gitane, la percherone-ardennaise, apparaît tout à la fois comme un facteur de clivage (elle symbolise une volonté de rupture dans la stratégie de gestion du Parc et provoque à ce titre des tensions avec le corps des jardiniers), et d'intégration d'activités, dans une logique de partenariat et de développement local (complémentarité étroite de fonctions au sein du chantier-école, et de la Ferme pédagogique). C'est une jument collective, elle favorise l'esprit d'équipe et l'innovation.

- Les rôles de l'animal sont multiples : traction lourde et lente, mais également animation et thérapie sociale (parcours d'insertion professionnelle, socialisation de personnes marginalisées), symbole d'une gestion douce de la nature

- Pour l'administrateur du domaine, le travail exécuté avec la jument vaut surtout par sa dimension " démonstrative" : le couple homme-cheval au travail soutient la nouvelle image du site en train de se forger; le cheval de trait marque la rupture qui s'opère dans la politique de gestion du grand site public à caractère naturel, il la rend évidente, spectaculaire. Un aspect particulier de cette fonction pédagogique prédominante : faire admettre au public une certaine pénibilité de l'effort accompli par l'animal, lui faire réapprendre des situations de traction animale encore banales, dans les villes françaises, jusque dans l'entre-deux guerres.

- le CT au travail synthétise et symbolise un système d'idées relatif au rapport à la nature et au territoire : rien d'étonnant à ce que son usage provoque une certaine résistance des jardiniers, imprégnés d'une "culture diesel

- pour ce développement "débardage à cheval" du chantier-école d'agents d'environnement en espace boisé à Saint-Cloud, un important partenariat institutionnel a été mobilisé : sur les territoires urbains, la problématique socio-écologique (gestion des déséquilibres biologiques et sociaux) est fortement politisée. La composante animalière (un animal imposant, dont l'image est forte) renforce la séduction exercée.

 

16. DATE DE VALIDATION PAR LES ACTEURS : 3 septembre1999