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Rapport "Chevaux de trait : le retour ?"

V. CONCLUSION GENERALE

 

Nous avons choisi de contribuer à une réflexion anthropologique sur les relances d'activités traditionnelles en nous interrogeant sur les mécanismes et les conditions d'un retour sur la scène publique d'un grand animal anachronique : le cheval de trait. Composée de quatre terrains distincts et coordonnés (deux régionaux : Basse-Normandie et Bourgogne, et deux "transversaux" : la ville, et les réseaux associatifs), cette recherche en équipe avait comme ambition d'explorer et de caractériser ce qui avait constitué le point d'aboutissement d'une précédente investigation : la diversité des nouveaux usages du cheval de trait et la diversification culturelle et sociale des réseaux d'amateurs (1) .

 

Chevaux de trait : le retour ?

 

Qu'est-ce qu'un cheval de trait ? En Europe, mais plus particulièrement en France, l'histoire culturelle et sociale de sa production est marquée par une infériorité du statut, au regard du prestige dont jouit l'animal de selle, ancienne monture de guerre transformée en partenaire pour la chasse et le sport des loisirs aristocratiques. Ces pratiques sportives "fermées" se démocratisent tardivement - à partir des années 1960 (2). Dans la culture équestre classique, le "Trait" est un terme classificatoire, et même longtemps discriminatoire, dans une échelle de valeur organisée autour de la notion de "sang" (et de son incarnation idéale, le pur sang (3)). Le maintien de la l'administration des Haras, établie sous le règne de Louis XIV, explique en France la persistance de ces catégories chevalines et de leur hiérarchie, qui transparaissent encore aujourd'hui dans le vocabulaire officiel et courant, et continuent d'ordonner les représentations du monde du cheval. Jusqu'à la fin du siècle dernier, à l'écart du précieux noyau de sujets "nobles"(4) , la population multiforme des bêtes de travail se trouvait désignée par une série de termes plus ou moins disqualifiants (Eugène Gayot présente par exemple les chevaux "agricoles" comme "la plèbe" de l'espèce, les vieux marchands de chevaux parlent encore aujourd'hui de bêtes "de pays", produits pour des usages locaux qui n'étaient pas encore emblématisés).

C'est par la création des races régionales (neuf berceaux, dont les livres généalogiques s'ouvrent de 1881 à 1930) que le cheval de trait accède enfin à une notabilité. Les documents d'origine - les "papiers" - attestent désormais par écrit d'un travail de sélection zootechnique effectué sur les reproducteurs ; ils sont garants d'une valeur et d'une légitimité nouvelles pour ces gros chevaux (5), qui prennent l'identité des régions qui les produisent. Les stud-books unifient et valorisent l'appellation jusqu'alors flottante, distinguent désormais le Cheval de Trait Ardennais (1908), le Cheval de Trait Auxois (1913), le Boulonnais, le Breton, le Cob normand, etc.

Cette reconnaissance officielle du cheval de trait par la création des races et des syndicats d'élevage intervient dans le processus de la motorisation en Europe de l'ouest (développement du réseau ferré, avènement de la voiture). Dès son invention, le cheval de trait "de race" est anachronique (6). Plus précisément : bête de salon, destinée en particulier à une clientèle américaine industrielle qui est l'un des moteurs de sa production. Tandis que paradent les fastueux attelages dans les expositions universelles, la traction chevaline disparaît du monde du travail. Elle s'efface rapidement des villes, et c'est également sur la scène urbaine, exactement à la même époque, que s'invente l'hippophagie : une consommation carnée interdite jusqu'alors pour des raisons sanitaires, et dont les chevaux de travail seront l'enjeu. Les protecteurs de l'animal font cause commune avec les promoteurs du progrès social et de la modernité pour condamner l'énergie animale et pousser le cheval vers un statut de bête à viande. Mais l'hippophagie restera toujours et partout une pratique marginale (7).

Jusqu'aux lendemains de la seconde guerre mondiale, la cavalerie agricole a perduré en nombre dans la petite paysannerie française, et en particulier dans "les berceaux", où la fierté d'élever pour les concours des syndicats de race a souvent justifié le choix anachronique de travailler avec l'animal. Sans prise sur le marché, sans véritable valeur économique, cet élevage s'est transformé en hobby. Il a été alors progressivement investi comme patrimoine par les Haras Nationaux et la culture équestre qui l'avaient combattu (8). L'espèce chevaline reste à l'écart des dispositifs technico-administratifs de modernisation de la reproduction des animaux de rente (loi sur l'Élevage de 1966 (9)).

Le 23 juillet 1976, un décret fait perdre au cheval de trait son identité si laborieusement conquise. Il se contentera désormais d'être un cheval "lourd", dont les performances se jaugent à l'abattoir et sur les étals des bouchers. L'objectif est alors de faire passer la viande au premier plan dans l'organisation technico-économique comme dans les esprits des éleveurs. Une filière hippophagique se construit, reliant l'élevage et la commercialisation, en amont et en aval de l'abattage, à l'échelle française et européenne. C'est la "relance" (mot consacré dans les Plans État-Régions des années 1980) pour la viande, la mise en place d'une production rentable de poulains de boucherie, sur le modèle technique et idéologique du "taurillon". L'objectif est de banaliser la production et la consommation d'une viande qui ne passe pas dans les pratiques de consommation.

La relance "viande" a eu une efficacité certaine : elle a permis de stabiliser les effectifs et a provoqué une hybridation de la culture d'éleveur, qui s'est très bien accommodée dans certains berceaux du passage du "Trait" au "Lourd". Les années de la viande ont été fondatrices en Bretagne, comme l'avait été l'exportation américaine dans le Perche, un siècle auparavant. Mais ces années fastes n'ont pas duré : le changement de politique agricole européenne (lois sur la PAC de 1992) a été fatal, sanctionnant le protectionnisme des procédures mises en place.

Nouveau renversement dans les années 1990 : proclamé "utile" et devant être utilisé dans une active campagne de médiatisation, le Trait revient, et éclipse le Lourd. Qu'est-ce que "l'utilisation"? C'est le nom donné à une nouvelle génération de concours organisés par les Syndicats de race et les Haras Nationaux depuis les années 1990, visant à inciter les éleveurs à dresser leurs animaux. Véritable mot-clef du terrain aujourd'hui, l'utilisation désigne aussi toute la gamme des nouvelles compétitions sportives qui sont montées comme de grands spectacles, dans une combinaison inédite de performances physiques et de célébration folklorique. Des Championnats d'attelage (depuis 1990) aux "Routes" (depuis 1991) et aux "Trophées" (depuis 1994)(10) , le Cheval de Trait est devenu athlète et bête de scène. "Cheval de trait, cheval utile" était enfin l'intitulé d'un colloque organisé en 1992 à Maisons-Laffitte par les Haras nationaux, en parallèle avec le troisième Championnat de France d'attelage réservé aux chevaux de trait. Cette administration et sa principale fonction, la "monte publique" avec des étalons d'État, est entrée en crise chronique depuis la motorisation ; une crise qui a débouché, cette année 1999, sur une transformation en Établissement Public Administratif. Dans les prémisses de ce bouleversement structurel qui va imposer le partenariat avec les "socio-professionnels", la vieille institution élitaire, autoritaire et anachronique découvre la communication, et investit le cheval de trait (le cheval rural ordinaire) comme support d'une opération promotionnelle de "l'administration en mouvement" (11).

 

Meneurs, atteleurs et charretiers : l'hybridation culturelle

 

Ces manifestations ont du succès : elles plaisent au grand public (et aux journalistes), elles mobilisent le milieu des amateurs de chevaux de trait, galvanisent les initiatives antérieures en drainant les énergies (et les crédits) sur ces actions-phares, qui sont d'ailleurs parfois critiquées à ce titre. Les slogans de "l'utilité" et de "l'utilisation" prennent corps et se déclinent en une multitude d'opérations qui font jouer des réseaux d'acteurs dont la configuration générale ne cesse de se complexifier, dans une active diversification culturelle et sociale.

Mais il serait plus juste de parler de re-diversification : la phase actuelle d'expérimentation technique et de confrontations culturelles succède en effet à une longue phase de repli sur elle-même d'une petite communauté d'éleveurs spécialisés, de plus en plus coupée des sollicitations du commerce des bêtes de service. Dans les années 1980, le cercle des grandes familles d'éleveurs des différents berceaux connaît un premier choc - une première hybridation culturelle - avec la relance bouchère, qui greffe sur le hobby déclinant de la bête à concours une activité qui "professionnalise" l'élevage en berceaux de race : une véritable revanche vis-à-vis de la loi de 1966)... L'élevage se dédouble : des "zones de multiplication" apparaissent dans les Pyrénées et le Massif Central. Si les gens des berceaux "d'origine" gardent la haute main sur la tradition de la bête à concours, ils doivent faire la place à leurs collègues des berceaux "secondaires", des producteurs de bovins qui découvrent l'espèce équine. L'intégration s'effectue (tant bien que mal) au sein de la structure qui les représente désormais vigoureusement, la Fédération Nationale Chevaline. C'est la grande époque de la "chevaline", la culture de la viande. La greffe de la filière hippophagique a plus ou moins pris selon les régions et les berceaux ; mais elle a partout profondément transformé le savoir, le savoir-faire, les repères et les valeurs de l'élevage (12). L'aire d'élevage et la culture d'éleveur se sont ouverts. Dans cette spécialisation nouvelle pour la production rentable d'une bête à viande, l'animal est toutefois resté un produit - et un emblème - de la seule communauté agricole. Il l'est également dans les fêtes paysannes, battages à l'ancienne, célébration des vieux métiers, qui s'épanouissent dans les campagnes touristiques depuis les années 1970. Ces spectacles populaires d'une culture paysanne à peine obsolète ont permis d'entretenir les savoir-faire charretiers, jusqu'à la redécouverte de l'attelage.

Dans les espaces ruraux déshérités où il s'implante, et en réaction à ce productivisme agricole qui vient d'atteindre les bêtes à concours presque oubliées du Perche, des Ardennes ou de la Franche-Comté, le mouvement néo-rural se réapproprie discrètement la traction chevaline, en expérimentant les voies d'une diversification agricole pionnière par la complémentarité cheval-tracteur (petits travaux agricoles, débardage, combinés à l'élevage), et en developpant des activités de service (tourisme hippomobile, classes vertes, mariages etc.). Avec leurs Traits revendiqués comme polyvalents et transversaux, les "néo" osent, et forcent le passage vers le monde de la compétition sportive : l'attelage - avec des chevaux de sang -, qui vient d'enrichir la palette des spécialités équestres olympiques. Les néo-ruraux suscitent la création d'une deuxième génération d'associations, un siècle après la première vague des syndicats de race. Ils ont trouvé leur combat : le moteur animal (chevaux de trait, poneys, ânes et mulets), qu'ils conçoivent - pour se démarquer des charretiers des fêtes à l'ancienne - moderne, et expérimental. Ils ont pris l'initiative d'une sauvegarde d'une fonction de trait rationnelle des grands chevaux agricoles, préfigurant la phase actuelle d'une pluri-fonctionnalité et d'un polymorphisme de la traction animale.

Cette phase actuelle peut être qualifiée de rurbaine (13) par le poids renforcé des valeurs forgées en ville, et par la prise de rôle d'acteurs citadins. Le fait qui en est le plus révélateur est l'effacement rapide de l'écourtage (sectionnement des dernières vertèbres de la queue), véritable symbole d'une perte de contrôle des agriculteurs, sous l'influence d'une idéologie grandissante du bien-être animal. Par ailleurs, et pour la première fois de leur histoire séculaire, les conseils d'administration de certains syndicats de race ont dû s'ouvrir à des personnes étrangères à la profession agricole (14) : en Bretagne, cette réorganisation s'est faite dans le cadre d'un conflit autour de l'écourtage (15). Quant au travail de différenciation (re-différenciation (16)) du modèle et du gabarit des animaux dans les concours, il est quasi général.

Ce dernier point mérite une attention particulière. L'élaboration de nouveaux critères de jugements du beau et du bon cheval - qui s'inscrit dans une histoire à rebondissements (cf. Mulliez 1983, Grange 1978, Lagoutte, Boujeot à paraître) traduit la pression d'une clientèle d'usagers qui possède désormais ses propres exigences. L'évolution me paraît encourageante. Les tensions qui se font sentir sur les terrains de concours sont le signe d'une diversité et d'une créativité retrouvées. La chaîne commerciale se reconstitue, un autre fait l'atteste : la multiplication des adultes mâles castrés, qui avaient totalement disparu de la scène voilà quelques années. Mais le mécanisme de ces échanges est fragile, car la rupture entre l'élevage et le commerce des chevaux de service a été totale durant plusieurs décennies. Les questions les plus pressantes concernent le standard des sujets de race, leur adéquation aux nouveaux usages, mais aussi l'immédiate disponibilité de l'animal pour des amateurs souvent néophytes. Tout comme le modèle - qu'est-ce qu'un beau, et bon cheval ? -, le thème du dressage, de la nécessité de livrer au commerce des animaux prêts à l'emploi, est récurrent dans l'histoire de la production chevaline (17). Ce qui est propre à l'épisode actuel, c'est la dualité du problème de l'éducation : aujourd'hui, les hommes sont également concernés. Le savoir-faire en matière d'utilisation de jeunes animaux s'est étiolé jusque dans les berceaux de race les plus actifs : un constat qui a conduit les Haras Nationaux à réserver une partie de leurs subventions d'élevage (enveloppe financière des "modèles et allures") pour les épreuves d'attelages déjà évoquées.

De nouveaux lieux de formation, souvent mixtes (pour les hommes et leurs chevaux), ont ainsi fait leur apparition dans une grande variété de structures (Centres de Formation Professionnelle Agricole, Ecoles d'attelage, Maisons régionales du cheval, Centres de promotion et d'animation spécifique à une race, telle l'Auxois...). La formation représente un enjeu des plus sensibles dans la communauté recomposée des amateurs de chevaux de trait, qui s'est élargie au milieu du sport (échanges et passages de la sphère de la compétition d'attelage en professionnel et en amateur, du "sang" vers le "trait"), mais aussi des services techniques des villes (parcs et forêts péri-urbaines en particulier) et des collectivités territoriales (départements, régions, syndicats de communes...), ou encore des filières de formation spécialisées pour les jeunes en difficulté ou les chômeurs de longue durée.

Meneur, cocher, charretier ? La diversité des mots utilisés pour désigner ces anciens-nouveaux métiers est parfaitement révélatrice d'une situation actuelle de carrefour des trajectoires et des cultures professionnelles, et aussi sans doute d'un déficit identitaire dans l'image de ces pratiques (18). Les charretiers revendiquent le parcours familial agricole (en Bretagne, le tracteur a voisiné avec les limonières jusque dans les années 1960). Quant à ceux qui se disent meneurs ou cochers (sans parler des atteleurs, qui choisissent cet "helvétisme" exotique pour proclamer leur originalité), ils le font avec conviction, parfois teintée de militantisme. Se présenter comme "meneur", c'est se classer dans la mouvance du sport : référence directe au "menage" (qui désignait le grand art exercé en ville par les gentlemen européens des débuts de ce siècle), ce néologisme s'est imposé lorsqu'il a fallu donner un nom du diplôme sanctionnant l'accès à la compétition d'attelage des années 1980. Préférer le vocable de "cocher", c'est afficher sa différence face à une culture sportive dominante. C'est également afficher sa détermination à se professionnaliser.

Entre les domaines de compétences (et les attributions financières) des ministères de la Jeunessse et des sports, de l'Agriculture, du Travail et de l'emploi, et de l'Éducation nationale et de la recherche, deux réseaux principaux s'affrontent pour définir le contenu des formations, et accéder aux positions d'autorité pédagogique : celui du sport et celui d'une diversification agricole de plus en plus attentive aux attentes citadines, en particulier dans les espaces intermédiaires du péri-rubain (ou semi-naturel, selon la terminologie de la Directive européenne Habitat).

 

 

Travailler avec des chevaux : la ville, théâtre et enjeu

 

La compétition est d'autant plus vive que l'attribution d'un diplôme (sanctionnant une formation) constitue le passage obligé pour cette professionnalisation dont tous se réclament. Se professionnaliser, c'est se donner les moyens de transformer une passion en métier, et donc d'en vivre. Ce qui paraît faire sens par delà la diversité de toutes les situations observées, c'est l'effort spectaculaire, ostentatoire, de réhabilitation d'une fonction de travail pour le cheval de trait, jusque dans l'espace public urbain, lieu par excellence de l'aboutissement de la re-diversification des usages (et des images) du cheval de trait.

L'accès au travail hippo-tracté dans les rues, les espaces verts et les parcs des châteaux apporte la preuve (la mise à l'épreuve) du professionnalisme : soumise à une observation permanente et aux contraintes techniques les plus fortes, l'action urbaine apparaît comme un amplificateur de tendances générales. Encore plus qu'ailleurs, elle mobilise une énergie militante et pédagogique : on agit pour soi, mais aussi au nom de tous les convaincus, et on travaille à convaincre, transmettre et former. Le travail accompli revêt ainsi de multiples fonctionnalités : on use de la force animale tranquille dans une logique de substitution raisonnée à celle du moteur. La puissance de ces grands chevaux fait également spectacle, délivre des messages publicitaires, suscite de l'échange : tout le monde prend le temps de parler, de commenter la pratique et ses enjeux. Les journalistes constituent bien sûr des partenaires obligés, souvent empressés, de cet effort de communication qui assure à certaines réalisations une position de référence à l'échelle nationale. Une notoriété qui fonctionne sans véritable base de connaissance, mais qui a comme vertu d'encourager des initiatives naissantes.

Au tournant du siècle dernier, la disparition de la cavalerie de service urbaine avait été accompagnée - sinon provoquée - par un débat social sur la nécessité d'un passage à la motorisation. L'énergie animale en ville était devenue tout à la fois obsolète et malséante : le cocher de fiacre était accusé de donner le dangereux exemple d'une violence populaire toujours prête à enflammer les quartiers ouvriers. L'équarrissage urbain - un lieu également insalubre, socialement dangereux - était également stigmatisé. L'hippophagie s'inventait, en ville précisément, pour offrir une digne fin aux animaux ouvriers ; le cheval devait enfin pouvoir rejoindre le bœuf dans les prés d'embouche. C'était une fin de vie inventée pour ceux qui travaillaient encore dans ces décennies de transition ; mais au-delà des cas individuels, une rupture historique se dessinait : la fin d'une civilisation de l'animal de travail dans les activités de production. Une fin qui se jouait de manière théâtrale dans les rues et dans la presse, et que les caricaturistes de ce tournant de siècle ont traitée de manière saisissante.

Le retour du cheval de service urbain s'effectue à la faveur d'un nouveau débat social : l'écologie et le développement durable, la requalification des lieux de vie par un patrimoine vivant combinant les symboles de nature et de ruralité. Un patrimoine qui peut donner du travail et réhabiliter des personnes par ce travail, notamment à travers le dispositif politique des "emplois-jeunes" et de l'insertion professionnelle. "L'éléphant de nos campagnes", comme dit un informateur bourguignon, apparaît particulièrement doué pour jouer tous ces rôles. Il se trouve effectivement requis par les acteurs des politiques publiques (services techniques des villes - anciens services d'espaces verts requalifiés en "écologie urbaine", environnement, ou restés fidèles à la référence aux jardins - , établissement publics gestionnaires de parcs et châteaux, associations de réinsertion) ; mais les associations, dont la recherche a montré l'extrême vitalité actuelle, ne sont pas de reste dans l'appropriation du capital transmis par le cercle des éleveurs de berceau. Un héritage bio-culturel qui s'est tranformé en bien collectif, dans le jeu des fêtes paysannes et des mises en spectacles sportifs, toujours agrémentés d'une "inspiration régionale". Du sport au travail, c'est sans doute cette ferveur partagée pour faire revivre le compagnon de travail, héros populaire des campagnes et des villes, qui explique l'extraordinaire réussite de la relance d'utilisation. Ces pratiques relèvent à l'évidence de la "consommation de rassurance" décrite par R. Rochefort (1995). Elles tempèrent le pessimisme exprimé par J.-P. Digard (1995, 1999) sur les ravages du "sentiment animalitaire", et me semblent donner la clef d'une divergence des évolutions actuelles concernant le "selle" et l'équitation d'une part (affirmation d'un "principe de non-utilisation", régression du sport vers le jeu), et le trait attelé d'autre part (des passions utilisatrices, sous l'étroit contrôle des mis des animaux (19)). Le sentiment d'œuvrer pour une cause commune confère une originalité certaine aux activités sportives qui redonnent une utilité et une visibilité sociale aux gros chevaux. Au contraire de ce qu'affirmaient récemment G. Vigarello et B. Leconte (1999), l'acte de remettre le lourd dans les traits, de le soumettre aux rudes épreuves du marathon, relève bien de l'idéal quasi religieux qui marquait les débuts de l'olympisme : l'undes leaders de la relance, concepteur de l'une des formations "cochers", parle de "mystique de la Route"...

 

Un patrimoine vivant

 

"Cheval de trait, cheval utile" : le slogan des années 1990 s'est bel et bien socialisé, incarné dans un réjouissant chantier d'expérimentation techniques et culturelles dont les caractéristiques sont la diversité et l'hybridation (des techniques, des représentations, des réseaux sociaux), dans le paradoxe contemporain d'une revendication de la tradition et et d'une promotion de l'innovation (Bromberger et Chevallier, 1999). Le message sur "l'utilité" sociale à réinventer le cheval de trait a été entendu, et c'est sans doute l'accent patrimonial de la proposition qui en a fait la réussite, en déchaînant les passions.

Par deux fois, on l'a vu, de la viande au sport, les Haras Nationaux ont organisé une relance de la production dans des mondes finissants : dans les années 1980, celui des concours de race portés par des agriculteurs âgés et sans relève ; dans les années 1990, celui des circuits de la viande asphyxiés par la politique agricole européenne et par la montée d'une sensibilité "animalitaire". Administration symbolique de l'État-providence, les Haras Nationaux ont à chaque fois fait valoir l'argument d'une nécessité de sauvegarde du capital national des races, dans une Europe oublieuse et gaspilleuse de ces richesses présentées comme génétiques : dans la rhétorique conservatoire, la dimension culturelle de ces patrimoines des berceaux n'est en effet jamais revendiquée : la pensée scientifique qui sous-tend et organise ces entreprises de relance de la production appartient à la sphère technico-économique.

La campagne promotionnelle du Trait de sport et de loisirs intervenait dans des circonstances singulières. Il y avait d'abord l'annonce d'un certain retrait de l'État avec la transformation d'un service public en Établissement public administratif (EPA) : un relais populaire devait être pris pour la gestion des effectifs des neuf races, enfin stabilisées (20). L'un des puissants mobiles des Routes, épreuves d'endurance attelée, était précisément de toucher le grand public, de lui faire découvrir un cheval de trait en danger, pour l'inciter à une prise en charge. Il est particulièrement significatif que la toute jeune association Traits de Génie soit devenue partenaire des Haras pour l'organisation de la deuxième édition de cette manifestation, en 1992. Traits de Génie a en effet fondé son identité et sa force sur un militantisme de sauvegarde.

Dans cette décennie 1990, l'engouement pour les produits de terroir est à son comble, et offre aux directeurs de circonscriptions territoriales des Haras l'opportunité d'une prise de rôle originale : jouer le Trait comme facteur de développement agro-touristique régional. Ce fait, paradoxal, mérite un double commentaire. Si l'on considère l'histoire des idées qui ont fondé la théorie et la hiérarchie des races chevalines au siècle dernier (21), il s'agit d'un véritable revirement. On a déjà fait remarquer que les bêtes de trait authentifiées dans leurs berceaux régionaux ont longtemps été regardées avec une certaine condescendance par les hommes de chevaux (voir supra). Dans le processus séculaire de civilisation cher à N. Élias, de la guerre à la chasse et au sport, et dans la codification croissante des compétitions (courses et saut d'obstacle), ils s'étaient en effet forgé une culture (européenne, bientôt mondialisée) uniforme. Les hippologues du siècle dernier affirmaient que la valeur de ce cheval de sang - le pur sang en premier chef - était intrinsèque, universelle et délocalisée : aux antipodes des arguments avancés par les promoteurs du Cheval de Trait Auxois, Boulonnais ou Breton, absolument conditionnés par leur terroir (singularité du berceau) (22).

Aujourd'hui, en pleine euphorie des produits de terroir, la revalorisation des Traits de pays par les Haras soulève par ailleurs le délicat problème de l'enchaînement des relances. Avec une relance en creux, blessure vive de l'amour-propre et de la fierté professionnelle des éleveurs de la "chevaline" (23) : il n'est pas décent de parler du "Lourd" (on a d'ailleurs donné comme consigne de ne plus prononcer ce mot dans les bureaux parisiens du Service des Haras, des Courses et de l'Équitation). L'épisode boucher reste dans tous les esprits. Mais la transformation du cheval de trait en produit de terroir, au sens d'un bien alimentaire à forte valeur ajoutée par le lien au territoire et le savoir-faire requis pas sa production (24) paraît bien difficile : on l'avait, d'une part, transformé en bête à viande à caractère délibérément industriel (modèle agro-alimentaire du taurillon) ; et la nouvelle image collective d'animal de sport, de loisir et de compagnie qui résulte de la campagne d'utilisation bloque les ressorts d'une démarche sur la qualité (en biologie, ou autre).

Revenu d'une tentative - plutôt anachronique, le système " taurillon " vient au cheval alors qu'il est déjà ébranlé en Europe nord-occidentale - d'industrialisation de la production animale, le cheval de trait de la fin du deuxième millénaire représente bien les terroirs, mais sur un registre exclusivement culturel. Une figure animale énorme, déformée par l'épisode boucher et que tous, dans la pratique comme dans la théorie, s'emploient à remodeler par et pour un travail raréfié et salvateur.

 

Une recherche utile ?

 

Tels sont les principaux acquis de cette recherche engagée en 1997 dans le cadre du programme "Traditions" (relances et revitalisations) de la Mission du Patrimoine ethnologique (25). Nous avions opté pour une démarche concrète et finalisée. Les orientations initiales ont été discutées avec les principaux acteurs du monde du cheval de trait, aux échelles nationale (filière Trait des Haras Nationaux, Fédération Nationale du Cheval), et régionales (Haras des circonscriptions, syndicats d'éleveurs, associations en Bourgogne et en Bretagne). Nous avons par ailleurs établi d'emblée le principe d'une présentation des résultats sous la forme de fiches techniques. Notre objectif était en effet de fournir un cadre homogène pour le recueil d'une information à la fois foisonnante et disparate. Le système des fiches nous paraissait favoriser le calibrage du terrain accompli et permettre une ventilation des faits favorable à un traitement comparatif ultérieur, d'une action, d'un réseau d'acteurs ou d'une région à l'autre. Il se prêtait enfin à une large restitution de l'information. Nous avons par ailleurs décidé de procéder à la validation des fiches réalisées, qui permettait à la fois de vérifier la justesse de l'information et d'effectuer un premier "retour" auprès des personnes qui nous l'avaient apportée. Le contenu des fiches s'en est trouvé consolidé et enrichi. Souvent chargée d'affects, l'opération a également révélé les désirs de reconnaissance et les besoins de communication. Certains de nos interlocuteurs découvraient (avec émotion) toute une histoire, et un tissu déjà serré d'expériences de la réinvention du cheval de trait ; mais beaucoup avaient conscience du caractère redondant et gaspilleur d'énergie des initiatives. Tous ont manifesté leur intérêt pour l'état des lieux réalisé, qui pourrait constituer l'ébauche d'un réseau d'échanges.

Ce premier panorama des manières de faire, de dire et de penser l'attelage d'aujourd'hui offre également l'occasion d'une prise de recul pour des acteurs souvent très impliqués : c'est leur propre image qui est en jeu, et le jeu les absorbe dans un perpétuel état d'urgence. La dimension ethno-historique (conditions et contexte de la traction animale avant l'ère du moteur thermique) apporte parfois un véritable soulagement : la possibilité de se mettre en scène, d'une époque à l'autre, dans le processus conscientisé de la réinvention (26).

 

De nombreuses pistes se dégagent pour une recherche future. Les aspects suivants nous paraissent devoir être rapidement étudiés :

 

- Singularités et traits partagés des cultures d'éleveurs, d'un berceau à l'autre et d'un moment à l'autre de l'histoire (la fondation des syndicats de race, l'assimilation par les Haras, les relances bouchères et d'utilisation). Un intérêt particulier devrait être accordé aux " berceaux secondaires " (ou " zones de multiplication ") des régions montagneuses de la France du Sud, à partir des années 1980.

- Dans tous ces berceaux, à des titres et degrés divers, la question de l'image professionnelle (de soi-même et du groupe) doit être posée, et mise en relation avec le statut du métier d'agriculteur en cette fin du XIXème siècle.

- Les relations qui s'établissent entre les éleveurs (et les éleveurs-utilisateurs) de profession agricole d'une part, et la dernière génération de néo-éleveurs de type rurbain méritent également d'être mieux connues.

- La perspective ethnohistorique révèle une dynamique d'absorption (récupération ?) des initiatives pionnières dans le milieu, reprises dans les politiques de relance à caractère national. De la viande aux pratiques sportives et de travail, ces transferts pourraient être détaillés.

- Entre les pièges du patrimoine-refuge (un repli sur les symboles d'un passé idéalisé) et ceux d'une communication à caractère strictement publicitaire, la voie n'est pas facile pour une valorisation qui combine la dimension économique et des valeurs d'animation sociale et culturelle. L'hybridation sans frein et sans repères n'est pas préférable à la régression passéiste : entre les anciens et les " rurbains ", la liaison doit être organisée. Dans une communauté éclectique dont les identités se cherchent, les " passeurs " (entre ville et campagne, cultures équestre et chevaline, charretière et de " coaching " (27)) jouent un rôle déterminant. Les charretiers de la période transitoire (dernières années de la traction agricole/relance " viande ") qui ont animé, et continuent d'animer le tissu serré des fêtes rurales à l'ancienne, ont accompli la liaison. Elle mérite d'être considérée (connue, reconnue et valorisée), comme celle que les néo-ruraux ont réalisée, dans d'autres configurations, depuis une vingtaine d'années.

- Une voie spécifique de recherche se dessine avec l'idée que des passions particulièrement vives s'attachent au projet, individuel ou collectif, de sauvegarder l'animal compagnon de travail de l'homme occidental que le progrès technique a condamné : la littérature des années de transition (dans les décennies d'installation du réseau de chemin de fer en particulier(28)) atteste du choc culturel que cette disparition rapide a provoqué. Il faut redonner une valeur, un statut et une identité à l'animal qu'on tire de l'oubli.

- Une nouvelle culture professionnelle de l'attelage s'élabore, faite de transferts et d'innovation ; elle appelle un suivi, comme cette professionnalisation que tout un chacun évoque de façon souvent incantatoire (et en particulier, les emplois-jeunes vont-ils se pérenniser ?). Les aspects techniques (les objets eux-mêmes - harnais, véhicules, ferrure, alimentation) et les compétences des métiers connexes occupent une place centrale dans les préoccupations actuelles.

- La transformation structurelle des Haras Nationaux doit également être étudiée, et plus précisément les nouvelles modalités du partenariat avec les "socio-professionnels" (syndicats d'éleveurs, clubs hippiques, réseau des gîtes etc.), ainsi que les activités des Conseils régionaux du cheval qui se mettent en place (avec la perspective de regroupements en " super-régions " appelées à jouer un rôle clef en Europe). Une question plus précise peut se formuler, concernant le type de structure qui a finalement été choisie : Établissement public administratif, et non " à caractère administratif ". En France, l'État maintient un contrôle certain sur les destinées équestres et chevalines. La force et la permanence historiques de cette tutelle constituent sans nul doute une singularité française dans l'Europe des États-Nations (29).

- Pourquoi l'organisation de la filière (production, transformation, distribution, consommation) est-elle si difficile à établir, par comparaison avec celle des bovins ou des porcins ? Quels en sont les freins ?

 

Notes

1. (Lizet, 1996 : 307-317).

2. Pour une discussion sur les termes de "démocratisation" et de "massification", voir Digard 1995.

3. Un terme et un animal forgés en Angleterre à la fin du XVIIIème siècle (De Blomac, 1990). Synonyme du cheval de sang : le cheval de selle, ou "noble", ou encore "fin" (ces deux termes ont vieilli, mais ils font toujours partie du vocabulaire des éleveurs).

4. Jusque dans les années 1990, les croisements des chevaux de trait avec les étalons nationaux des races "de sang" (pur sang anglais ou arabe, anglo-arabe, selle français), étaient interdits ; ils restent aujourd'hui très parcimonieux (croisements avec l'arabe essentiellement, en particulier chez le Boulonnais).

5. Deux races vont prétendre à la qualité de "pur sang de trait" : le Boulonnais et le Percheron (voir par exemple pour le Percheron : Samson 1883). Ces sources zootechniques du siècle dernier alimentent les disours contemporains.

6. Voir les débats passionnés de l'époque sur l'alternative animal-moteur (Schivelbusch 1977) ; voir aussi le déplacement de l'utilisation de la force animale vers le monde du sport où voisine le cheval, la voiture et le cycle (les volumes du Sport universel illustré sont particulièrement révélateurs: premières courses de voiture, concours hippiques avec saut d'obstacles, mais aussi présentation de grands attelages de luxe, déplacement ludique et sportif du mode de transport ordinaire collectif par une aristocratie anglaise très imitée dans les villes européennes).

7. 3%, de la " consommation toutes viandes " à la meilleure époque, dans les années 1980 (Rossier et Coléou 1977).

8. Telle est la tendance générale (et inéluctable), même si le commerce du cheval de service agricole a encore connu de belles années d'après-guerre : par exemple, le Breton qui s'exportait par chemin de fer dans la France viticole méridionale (régions de Bordeaux, de Perpignan, Carpentras…).

9. L'élevage du cheval étant déjà établi sur des bases réglementaires (service public). Les berceaux productivistes (la Bretagne) reprochent aux Haras leur traditionalisme dans les techniques de la reproduction, et la lenteur de l'assimilation de méthodes depuis longtemps maîtrisées par les autres filières, comme l'insémination artificielle (bovins, ovins-caprins et porcins).

10. Les championnats d'attelage réservés aux chevaux de trait ne diffèrent des compétitions fédérales créées pour les chevaux de sang que par le niveau de performance exigé. Inspirées d'épreuves d'endurance mises au point sur le cheval de selle (combinaison de l'effort physique et d'un motif d'histoire locale), les Routes (du Poisson, du Vin et des Écluses, du Comté, du Cidre etc.) sont des marathons routiers d'attelage qui mobilisent une énorme logistique. Dans le cadre des Salons parisiens (Cheval et Agriculture), les Trophées nationaux et internationaux reprennent quant à eux le principe, également élaboré pour les chevaux de selle, du concours complet : épreuves de dressage, de maniabilité et de présentation (la spécificité du cheval de trait est donnée par une note de "connotation régionale" et une "traction" qui fait valoir la puissance de l'animal.

11. Slogan figurant sur le programme d'un concours d'attelage inter-haras (Cluny, 1991).

12. On peut considérer le Cob normand comme une sorte de héros de l'hybridation culturelle : animal intermédiaire entre le cheval de sang et de trait dans la période de sportisation de l'équitation militaire (fin du XIXème siècle, début du XXème siècle), il est intensivement croisé dans la période bouchère pour le "tirer" vers le trait, et à nouveau ramené vers le "sang" dans la phase actuelle d'engouement pour l'attelage (voir le texte de C. Boujeot dans cet ouvrage, et sa contribution dans le rapport Chevaux de trait, le retour ? Le mot "cob" appartient à la langue anglaise ; il désigne un gabarit et un type morphologique, en rapport avec la fonction pratique de l'animal: plutôt lourd, comme chez le poney welsh, dont une catégorie "cob", râblée et puissante, convient à des cavaliers pesants. Dans le commerce du cheval de service (attelé à la voiture, puissant mais rapide, pour la ville ou la route), le terme existait, et renvoyait à des pratiques de croisement (illicites) entre chevaux de trait et chevaux de sang.

13. Selon le néologisme forgé par G. Bauer et J.M. Roux (1976), pour désigner " dans un vaste rayon, les extensions disséminées " de la ville dans les campagnes, et la généralisation de manières d'habiter et de modes de vie qui " permettent la réconciliation entre deux types de consommation : celle de l'espace, de la nature, qui est le privilège du milieu rural ; mais aussi, grâce à leur proximité, celle de la ville pour des équipements implantés en périphérie, pour les achats et les loisirs " (p. 54). Voir aussi Dubost, 1990.

14. La Fédération Nationale du Cheval (ex "chevaline") a également ouvert son Conseil d'administration aux éleveurs non agriculteurs.

15. Ce sont curieusement ces nouveaux membres, non agriculteurs et rurbains, qui ont contesté de façon virulente l'interdit de la caudectomie signifié par le ministre de l'Agriculture lors du Salon du cheval en 1997. La sensibilité "animalitaire" (Digard 1995) n'est donc pas toujours le fait des citadins.

16. La plupart des races ont toujours comporté plusieurs types. Par exemple, chez le Boulonnais : le " gros " et le " petit "; chez le Breton : le Postier, le Trait et le Petit trait (plaquette sur le standard de la race, 1937). Ce découpage varie selon les époques, en fonction des besoins du commerce.

17. Le Service des Armées, qui doit pourvoir acheter ou réquisitionner des animaux "faits", exerce une pression permanente sur les éleveurs (et constituera longtemps un excellent débouché). Voir Mulliez, lc.

18. Il en est de même pour les débardeurs : lors d'une démonstration organisée à Congis-sur-Thérouanne par le GRETA (un organisme de formation et conseil mis en place dans le cadre de la formation continue pour adultes du ministère de l'Education Nationale) de Seine et Marne, à l'occasion de la présentation du "code vert" (spécialité environnement et espaces verts). C'est du mot "débardeur" qu'on use, tout en faisant remarquer qu'il est impropre: dans la chaîne technique du bois, c'est de débusquage dont il s'agit. Mais on n'est pas charretier (fonction exclusivement agricole), et encore moins meneur (fonction sportive)… Ces débardeurs sont conscients d'être manipulés par les hommes politiques, qui usent et abusent de leur image (animal patrimoine, travail "vert").

19. Les Calèches de Versailles, la plus grande PME d'attelage française, sélectionnée parmi une cinquantaine de dossiers (appel d'offre européen), offrent un terrain saisissant : une cinquantaine de chevaux de trait (plutôt légers), une quinzaine de voitures (restaurées, copies d'ancien et prototypes), et une équipe presque exclusivement féminine, très jeune (dispositf emploi-jeune), venue du sport, qui accomplit sa professionnalisation (meneur à cocher). Un enjeu national (une expérience en vitrine), et un rude travail pour les femmes et les chevaux. Mais c'est la fatigue (évidente) des chevaux que le public transporté considère, hésitant entre la compassion, et l'intérêt pour l'entreprise de réhabilition que les femmes "meneurs-cochers" leur racontent généreusement. Un travail mené sous contrôle vétérinaire permanent.

20. L'année 1994 marque la fin de la chute des effectifs de juments de trait saillies (l'attribution des primes agri-environnementales pour les races menacées, attribuées aux juments poulinières inscrites aux livres généalogiques, a suscité un important afflux de sujets dans les berceaux secondaires de montagne).

21. Et en particulier Gayot, 1883.

22. Id. (pp. 410 et suivantes).

23. Particulièrement sensible dans les zones de berceaux "secondaires", dont les éleveurs souffrent d'un véritable problème de reconnaissance : ils se sont lancés avec efficacité et passion dans la production lourde, et vivent très mal le revirement de politique de relance. Dans les discussions, ce qualificatid de "secondaire" cristallise d'ailleurs souvent des difficultés : on préfère ici parler de "zones de multiplication".

24. cf L. Bérard et P. Marchenay (1995). Dans la théorie des zootechniciens contemporains (et partenaires directs) de la création des races régionales et des syndicats, c'est surtout le sol, et aussi le climat, qui donneraient aux animaux leurs spécificités.

25. Un colloque organisé les 17 et 18 septembre 1999 à Aix-en-Provence par la Mission du Patrimoine ethnologique et l'Institut d'Ethnologie Méditerranéenne et Comparative (C. Bromberger et D. Chevallier), intitulé "Relances de traditions en Europe aujourd'hui. Études de cas" soulignait l'extraordinaire vitalité de ces dynamiques sociales, dont la traction animale constitue l'une des figures. Les autres motifs sont la fête (votive, sportive, folklorique), les produits de terroir et les façons culinaires, mais également les races domestiques animales ou les techniques de construction de maisons.

26. Il en a été ainsi, par exemple, pour les Calèches de Versailles (voir la note 20).

27. Terme utilisé au début du siècle dans les cercles huppés d'Europe de l'ouest qui avaient récupéré l'art de mener de grands attelages (malle-poste par exemple), tombé en désuétude avec le développement du chemin de fer. Des équipages rutilants étaient ainsi présentés dans les concours hippiques des grandes capitales (voir par exemple le Sport universel illustré). L'une des surprises de cette recherche est d'avoir trouvé, dans les milieux du spectacle spécialisés sur les prestations urbaines, des héritiers (âgés) de cette culture.

28. Les observateurs (écrivains, journalistes) et les acteurs directs (ingénieurs) du changement l'ont exprimé en termes souvent poignants. Voir par exemple dans Schivelbusch, lc.

29. Voir l'éditorial de Cheval breton, Bull. d'information du syndicat des éleveurs du cheval breton, octobre1999