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Rapport "Chevaux de trait : le retour ?"

III. APERÇUS REGIONAUX :
BOURGOGNE ET BASSE-NORMANDIE

a. Bourgogne

3. Conclusion

 

Deux impressions dominent à l'issue de ce travail d'enquête : d'une part la multiplication actuelle des initiatives d'utilisations du cheval de trait, d'autre part une hybridation des pratiques relevée dans l'introduction : les éleveurs s'orientent vers l'utilisation, la frontière entre une utilisation " professionnelle " et des nouveaux usages du cheval n'est pas tranchée.

Dans ce foisonnement j'ai éprouvé quelques difficultés : pourquoi choisir telle initiative plutôt que telle autre, comment distinguer une structure, une association d'une action ?

J'ai réservé une place plus importante à la race Auxoise, parce que dans ce berceau de race encore tenu par des éleveurs la question de l'ouverture à de nouvelles pratiques est cruciale pour le maintien de cette race à petits effectifs. Ces dernières années un petit groupe d'éleveurs issus du Syndicat de Côte d'or a été à l'origine de plusieurs initiatives que j'ai tenté d'analyser. . En 1998 la réalisation du Centre de promotion du cheval de trait Auxois fut largement médiatisée par ses promoteurs : les éleveurs de l'Auxois, les responsables des haras de Cluny et les collectivités territoriales très engagées dans ce projet.

La dynamique actuelle qui anime la race Auxoise est partie de l' association " Trait Auxois-Attelage ", qui a regroupé les adhérents du syndicat les plus motivés pour la participation aux différentes " routes " qui ont été organisées ces dernières années. On y retrouve quelques représentants actuels de lignées d'éleveurs importants qui étaient souvent naguère des étalonniers. L'association centralise aussi les propositions de sorties attelées : fêtes, mariages et animations de villes au moment de Noël. On peut dire que c'est le goût de la compétition avec un type d'animal pourtant assez peu adapté aux épreuves d'endurance qui a soutenu la dynamique autour des " meneurs ", capables d'entraîner à leur suite les autres éleveurs. Dans cette aventure des routes les éleveurs Auxois n'ont pas cherché à transformer ces lourds chevaux de travail en vue des épreuves sportives auxquelles ils ont participé. Voilà qui ajoutait sans doute au caractère extrême de l'épreuve et peut être à une forme d'identification entre cette race monumentale, en voie de disparition et la poignée d'éleveurs qui avait relevé le défi de constituer une équipe avec les moyens que cela suppose : cavalerie en ordre de marche, véhicules et intendance.

Avec la participation aux courses d'endurance et la présentation régulière de chevaux Auxois au Concours agricole de Paris, le groupe des éleveurs les plus actifs du syndicat a éprouvé le besoin de créer une structure qui, à leurs yeux, leur permette de pérenniser la race.

La construction du Centre de promotion a été fortement soutenue au départ par l'administration des Haras qui voyait d'abord dans cette réalisation une alternative à la vente des animaux pour la boucherie. Les collectivités territoriales ont apporté le financement qui a complété la dotation des Haras. Le directeur du Haras national de Cluny s'était investi dans ce projet en définissant le cahier des charges avec l'architecte, et en apportant un financement conséquent. Les responsables politiques locaux : conseillers généraux, député, ancien conseiller général et maire, président de syndicat de commune qui ont mobilisé les autres financements ont aussi joué un rôle important pour le choix de la localisation du Centre. Deux solutions se présentaient alors : la ferme d'expérimentation du lycée agricole de Semur en Auxois qui développait depuis peu la production du lait de jument ou un terrain disponible à proximité de la " Ferme du Hameau ", ancien domaine modèle dépendant du château de Bierre-Les-Semur, dont les grands bâtiments d'exploitation inoccupés venaient d'être aménagés dans le cadre d'un projet de musée rural. Le choix des politiques s'est porté sur un aménagement à proximité de la ferme- musée. Cette décision a semble-t-il suscité quelques antagonismes. Cette solution d'aménagement offrait l'opportunité de disposer d'animations quotidiennes (promenades en calèche) et la possibilité d'organiser des fêtes du cheval de trait. Les responsables de la ferme ont aussi créé des activités autour du cheval, comme la tentative d'installation d'un petit atelier de bourrellerie- sellerie. Néanmoins la cohabitation musée et centre de promotion, pouvait enfermer celui-ci dans la seule perspective de reconstitution des activités traditionnelles, un peu contradictoire avec la structure et l'équipement destiné à entraîner les animaux pour des activités sportives.

En 1998, le haras national de Cluny, et le Syndicat d'élevage de chevaux de trait Auxois ont organisé le concours régional d'utilisation à Bierre Les Semur utilisant ainsi les infrastructures du Centre de promotion et de la Ferme du Hameau. Ces deux derniers partenaires ont transformé l'événement en fête du cheval de trait prolongeant le Concours par une deuxième journée consacrée à une course de relais, puis différentes exhibitions. Ce mélange des genres était rendu nécessaire par l'association de partenaires ayant des finalités différentes. Dans le monde du cheval, le modèle du Concours s'inscrit dans une mise en scène des hommes et des animaux qui reste toujours réglée par les instances officielles : les haras représentés par un technicien très les syndicats d'élevage . Entre les exercices imposés du Concours proprement dit et les exhibitions prévues dans le cadre de la fête se crée chez les éleveurs et parmi les organisateurs une tension palpable d'où résulteront quelques altercations.

A travers la fête se rejouent en effet deux images contradictoires du cheval de trait : durant les compétitions, et notamment pendant l'épreuve d'attelage et maniabilité , c'est une image sportive qui rattache d'ailleurs cette épreuve à d'autres compétitions équestres. A d'autres moments les éleveurs prennent un plaisir manifeste à présenter leurs animaux animant des instruments agricoles anciens.

Une autre expérience avait été imaginée en articulation avec le Centre de promotion . Il s'agit d'une formation organisée en 1998 et reconduite en 1999, et intitulée " Stage de formation cocher, guide d'attelage ". Sans vouloir analyser l'utilisation du terme " cocher ", on pressent qu'il a son importance et se situe dans un enjeu crucial pour les utilisations contemporaines du cheval de trait, il est suffisamment dans " l'air du temps " pour qu'il soit aussi adopté par un " Syndicat des cochers " créé cette année à l'occasion du Concours agricole de Paris . Derrière ce terme se profile l'idée d'une professionnalisation et d'un statut nouveau qui ne soit peut être pas strictement le " meneur " sportif, et qui diffère peut être aussi des expérimentateurs de la période précédente.

En complément des fiches consacrées aux expériences présentées ci-dessus, nous avons sélectionné deux autres fiches consacrées à des éleveurs de chevaux Auxois, il s'agit d'une famille d'éleveurs installée en Saône et Loire, dans l'Autunois. Le fils qui gère actuellement un élevage bovin a repris récemment l'exploitation familiale et son père qui lui a transmis la passion de l'élevage des chevaux de trait avait utilisé le cheval dans son exploitation jusqu'à la fin des années soixante. Raymond Therville possède désormais une jumenterie conséquente, élève, débourre et dresse ses juments et parvient à vendre quelques juments dressées. Aux marges du berceau de la race il ne défend pas comme les éleveurs du berceau les grands gabarits, et , un peu loin du Centre de promotion, il compte surtout sur lui même.

Cyril Decosne, jeune éleveur et agriculteur en cours d'installation est un peu plus proche de l'Auxois, installé à la périphérie de Dijon. Il se constitue actuellement une cavalerie et il imagine son activité en complément de son exploitation, en s'appuyant sur les viticulteurs voisins.

Seule cette dernière expérience encore balbutiante suit la voie de la diversification agricole. Les éleveurs de l'Auxois restent encore dans une logique de production d'élevage avec des modèles d'animaux proches des modèles " viande ". En revanche la dernière initiative qui concerne les chevaux de race Auxoise a été conçue dès son origine comme un projet de diversification agricole. La production de lait de jument futmise en place dans le cadre de la ferme d'application lycée agricole de Semur- Chatillon en 1992. Conçu avec l'aide du Centre d'études et de recherches sur la diversification, organe spécialisé de la Direction de l'agriculture de Côte d'Or, appuyé par un Groupement d'Intérêt Scientifique, ce projet expérimental qui supposerait une approche globale de la production du Trait Auxois , remettant en cause les modèles, les modes de culture (ce nouveau " produit " est conçu dans le cadre de l'agrobiologie) rompt avec la culture des éleveurs bovins et chevalins de la région, et, on peut constater qu'il a inspiré plusieurs projets d'installations réussies, en dehors de la zone d'élevage.

Ces initiatives dans le berceau de race Auxois font l'objet de débats et de conflits parfois violents dans les syndicats et les instances professionnelles. Elles sont aussi médiatisées par la presse locale qui rend compte de toutes les initiatives prises dans le berceau de race. Nous avons remarqué que ce sont en partie de grands éleveurs baignant dans des modèles traditionnels qui s'achemeinent vers des initiatives nouvelles . Sur ce terrain, en effet ces modèles anciens sont encore très prégnants. Le métier d'éleveur, embrasse élevage équin, bovin et ovin. Ces grands éleveurs exploitent de très grandes fermes : plus de 200 hectares, sont propriétaires d'un troupeau de juments et de quelques étalons, leurs parents étaient étalonniers, et " rendaient des services " aux plus petits exploitants. Eleveurs d'élite, ils appartiennent aux dynasties qui ont donné sa singularité agricole à l'Auxois, troisième berceau de l'élevage bovin avec le Charolais- Brionnais et le Nivernais. Ce fut aussi un berceau d'élevage de chevaux de trait conquérant comme on a pu le voir dans son combat d'entre deux guerres avec le Nivernais. Ces derniers représentants des grandes dynasties d'élevage et d'embouche défendent avant tout " une façon d'être avec les animaux " au moment où ils s'apprêtent à remettre leurs exploitations à leurs successeurs, leurs enfants qui ont dû se spécialiser dans la production des bovins broutards. Naisseurs, capables de dormir à côté de leurs juments plusieurs nuits s'il le faut pour accompagner la mise bas, ils défendent aussi des modèles qui " profitent " sur leurs herbages de l'Auxois où leurs juments cohabitent avec les bovins. On connaît les prés qui donnent de l'os, de la carcasse et puis ensuite les herbages qui vont faire fleurir la jument. L'étalonnier, un peu comme l'emboucheur dans le monde bovin, pratique l'art de fleurir les bêtes au moment de la vente " je lui ai mis de la graisse sur les côtes parce que ça cache beaucoup de défauts " remarque l'un de nos interlocuteurs…

Le centre de promotion, la formation de futurs cochers et guides d'attelage exigeront sans doute des remises en cause même partielles de ces modèles. Pour promouvoir la race de trait il faudra certainement présenter les meilleures juments à la vente et non les conserver jalousement, il faudra les remettre dressées à leurs nouveaux propriétaires. Déjà certains éleveurs issus des grandes dynasties mentionnées ici l'ont compris. Une évolution importante est en cours qui se manifeste notamment à travers les concours d'utilisation : des éleveurs font travailler régulièrement leurs juments Auxoises, espérant ainsi développer un petit marché à côté de la vente pour la viande. En revanche il semble que l'expérience de diversification mise en place par le Lycée agricole de Semur-Chatillon reste incompréhensible, voire incongrue aux éleveurs, est ce en Auxois le poids d'une " culture de la viande " ?

En se déplaçant du berceau de la race Auxoise vers sa périphéire on observe des expériences d'utilisation conduites depuis quelques années aux marges géographiques de l'Auxois (et parfois en marge de la race) qui sont désormais prises en exemple comme on le voit dans les initiatives coordonnées par le Centre de formation agricole. Dans la côte viticole des expériences de travail avec les chevaux mettent en œuvre des juments Comtoises dressées au préalable par un pionnier Jurassien de l'utilisation, Jean-Louis Cannelle, mais un jeune éleveur d'Auxois veut aussi faire travailler ses juments dans les vignes. Au moment où ces lignes sont écrites le Centre de formation professionnel invite les viticulteurs à une rencontre autour du cheval de trait dans les vignes présentant des exemples de viticulteurs utilisant des chevaux dans la région et dans un vignoble voisin…. Malgré la défense des types " monumentaux " et des grands gabarits y compris par les services de l'Etat lors des concours modèles et allure, des éleveurs situés aux marges produisent des juments destinées à l'utilisation, plus " ramassées ", et cela sans publicité, à côté des discours flamboyants des défenseurs de la race.

Le service des Haras, est présent sur le terrain aux côtés des Syndicats d'élevage, il contribue à la préservation et à la promotion des races de chevaux de trait, mais en matière d'utilisation son action se limite à l'organisation des concours. Lui échappent les initiatives des utilisateurs qui élèvent des chevaux qui ne sont pas inscrits au stud-book.

Dans le panorama des utilisations contemporaines du cheval de trait, l'initiative du Syndicat de l'Yonne reste au bout du compte singulière : le Président de ce Syndicat qui eut lui même, naguère une expérience d'utilisateur (entreprise de roulottes à cheval) a abandonné la perspective du cheval au travail, pour promouvoir un nouveau cheval de trait de loisir.

Pour revenir à une perspective régionale plus large, une part importante des nouvelles utilisations des chevaux de trait en Bourgogne se dessine dans le cadre d'un réaménagement des activités agricoles dans le monde rural : des éleveurs, des agriculteurs, des pluri-actifs envisagent aussi leurs chevaux de trait comme un élevage particulier, qui peut occuper une part de la surface agricole disponible. Après les initiatives des pionniers néo-ruraux des décennies précédentes, l'idée d'une certaine diversification se fait jour, même si elle n'est pas énoncée telle quelle.

Le cheval de trait participe du patrimoine rural : la plupart des éleveurs de l'Auxois en mesure de dresser des juments les présentent dans des fêtes rurales qui présentent des travaux à l'ancienne. L'utilisation du cheval dans les vignes en fait aussi une composante du patrimoine, au même titre que l'ancien pressoir ou les caves voûtées. Est-ce lorsque le lien avec les professionnels de l'élevage disparaît ou s'amenuise que peut apparaître un " cheval lourd de loisir " ? Celui-ci, en effet pourrait perdre la qualification de cheval de trait puisque ses promoteurs envisagent un cheval monté. Jusqu'à cette ligne le mot de " relance " n'a pas été employé, comme en témoignent les mots-clefs choisis pour qualifier les initiatives recensées dans les fiches, nos informateurs parlent de préservation et de promotion des races de trait. Les actions entreprises font référence à l'utilisation du cheval de trait ou à la " professionnalisation "des acteurs.