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Rapport "Chevaux de trait : le retour ?"

III. APERÇUS REGIONAUX :
BOURGOGNE ET BASSE-NORMANDIE

a. Bourgogne

1. Introduction

En introduction à la présentation des fiches réalisées en Bourgogne, rappelons le statut particulier du Conseiller à l'ethnologie dans une région, à la fois observateur des initiatives et des acteurs, mais également acteur lui même dans le domaine du patrimoine.

Dans cette position particulière, ma participation à la recherche s'inscrivait d'abord dans une certaine proximité avec ce terrain, et, en ce qui concerne la région de l'Auxois et ses marges cette proximité était en quelque sorte redoublée : d'une part parce que j'avais depuis plusieurs années participé à plusieurs études sur l'élevage bovin en Bourgogne centrale, dans cette grande zone d'herbages permanents, dont l'Auxois est l'extrémité Nord, et le Nivernais la partie Ouest, d'autre part parce que j'avais participé avec certains de mes interlocuteurs à des opérations d'étude et valorisation du patrimoine.

Ensuite, la question du " retour du cheval de trait " s'est inscrite du fait de mon statut et peut être aussi de perspectives qui me sont propres dans une dimension régionale. J'avais identifié, comme je l'indique plus loin plusieurs actions dans l'Auxois, autour du berceau de race, et c'était dans cette première direction que je m'étais d'abord orienté, craignant de ne pouvoir rendre compte d'une situation qui me paraissait complexe, car trois races de chevaux de trait étaient présentes dans les quatre départements de la région. Dans un deuxième temps ce sont les rencontres avec les responsables des syndicats d'élevage qui m'ont permis de reprendre cette dimension régionale et de circonscrire ensuite quelques expériences. Au bout du compte il me faut assumer cependant des choix et des fiches d'enquête qui s'apparentent à des monographies. Chaque fois que j'ai rencontré, par exemple une éleveur de chevaux de trait qui était aussi éleveur bovin aux franges du charolais, ou viticulteur de la Côte de Nuits, ou agriculteur en voie d'installation dans la plaine Dijonnaise, il m'était difficile de ne pas essayer d'interprêter son expérience par rapport à sa pratique d'agriculteur et par rapport au territoire rural et agricole sur lequel il était installé. J'ai cependant, eu aussi l'occasion de repérer des initiatives qui n'étaient pas le fait des éleveurs mais aussi des utilisateurs et des amateurs passionnés de chevaux de trait. Mon point de vue privilégie sans doute malgré tout le monde des éleveurs et son évolution actuelle.

En Auxois, j'avais déjà eu l'occasion d'intervenir comme formateur ou conseil pour des actions de connaissance et mise en valeur du patrimoine bâti avec les responsables d'un musée local, d'un organisme de formation et d'associations de défense du patrimoine, tous engagés à divers titre dans des projets touchant au cheval de trait.

Depuis le début de cette enquête jusqu'à la phase actuelle de rédaction, différents protagonistes engagés dans des actions de conservation et de promotion des chevaux de trait Auxois m'ont ainsi consulté. Par exemple j'ai été sollicité dans la formation " cocher guide d'attelage ", dont il sera question plus loin , on m'a également demandé des conseils sur un projet muséographique qui s'appuie sur le cheval de trait, et interrogé sur les résultats pratiques à attendre du travail en cours.

S'agissant toujours de la région de l'Auxois qui constitue aussi le cœur de ce travail (et l'on verra que je distingue des actions qui se sont développées au cœur de ce berceau de race qui est aussi parfois un nœud de conflits et de contradictions, d'autres actions qui se déroulent en marge des pratiques traditionnelles et aux marges de ce territoire), il faut rappeler aussi que la race de chevaux de trait Auxois: les " rouges " est la race antagoniste et parallèle à la race noire étudiée voici un peu plus d'une décennie par Bernadette Lizet. (28)

Le présent travail, à son échelle, renvoie, en effet, comme en écho à l'histoire de la race noire du Nivernais, absorbée dans le stud-book percheron alors que la race Auxoise a survécu de justesse, âprement défendue par une poignée d'éleveurs, bien souvent en lutte contre l'ancienne puissance tutélaire des haras.

Dans ce contexte les observations de Bernadette Lizet sur le terrain nivernais proprement dit, puis lors de ses incursions sur les marges du Morvan et enfin plus directement sur le terrain d'un concours d'utilisation m'ont permis d'identifier le poids des cultures professionnelles et des pratiques extrêmement codifiées. (29)

Il y a dix ans elle mettait en lumière l'arrivée de populations extérieures confrontées avec le monde de l'élevage : néo-ruraux, ou propriétaires de chevaux de sport récents adeptes du cheval de trait . Ceux-ci importaient de nouveaux modèles dans l'élevage et l'utilisation du trait.

Quelques années après, le secteur Auxois révèle une évolution sensible : une partie des éleveurs s'est tournée vers l'utilisation et l'ensemble des projets qui ont vu le jour dans les années récentes sont éclos dans le monde de l'élevage, révèlant ainsi une certaine hybridation des pratiques sur laquelle il nous faudra revenir.

Aujourd'hui le berceau de race Auxois se trouve investi par une série d'initiatives qui ont pour objet à la fois de produire et commercialiser des chevaux de traits " dressés ", de produire aussi des compétences nouvelles, d'expérimenter des projets d'installation. Les responsables du haras national qui ont accompagné le mouvement à l'origine, sont directement intervenus dans ces nouvelles initiatives et ils sont plus attentifs que jamais à leur rôle alors que leur administration est confrontée à un nouveau statut.

La race Auxoise est présente en Bourgogne Centrale, dans la plaine à proximité de Dijon et dans l'Autunois , mais n'apparaît pratiquement pas dans le Nivernais, le département de l'Yonne, et dans l'Est du département de la Saône et Loire. Les rencontres avec les responsables des Syndicats d'élevage de Saône et Loire de la Nièvre, témoignaient d'une vie de l'élevage des chevaux lourds rythmée par les traditionnels concours de présentation avec des chevaux Auxois dans l'Ouest de la Saône et Loire mais aussi des races hors de leur berceaux d'origine comme le Comtois à l'Est de ce département, le Percheron dans le Nivernais , la situation étant beaucoup plus mêlée dans l'Yonne.

C'est un technicien du Haras national de Cluny qui a attiré notre attention sur la situation de ce département. Dans cette région partagée entre un berceau de race et des races hors berceaux, comme il a été écrit à plusieurs reprises, l'activité des haras est cruciale. Bien entendu il se trouvera toujours ici et là des éleveurs influents qui critiqueront le choix de tel ou tel étalon reproducteur ou jugeront l'activité du service pas assez orienté vers l'élevage du cheval de trait. Nous avons cependant perçu à travers l'activité de ce service une certaine sensibilité aux transformations du terrain, dans le jeu entre l'appui à certaines initiatives et l'adaptation à des initiatives locales. La présence des haras dans les nombreux concours locaux, départementaux et régionaux leur permet en effet de sonder en permanence les évolutions du terrain.

En ce qui concerne le département de l'Yonne, il existe une situation inédite en Bourgogne : le Syndicat d'éleveurs de chevaux de selle et de trait de l'Yonne a fusionné en un organisme unique. Le président, comme on le verra, imagine un ambitieux programme de complémentarité entre chevaux de selle et chevaux de trait montés, d'autres initiatives que nous analysons dans la fiche consacrée à ce syndicat vont dans le sens d'un modèle de " cheval de trait de loisir " si nous pouvons hasarder cette appellation.

Dans ce département situé à proximité de l'Ile de France, l'idéologie du cheval compagnon des loisirs se fait sentir. Il existe aussi dans la région de puissantes organisations d'attelage dans lesquelles le cheval de trait est aussi utilisé, il serait sans doute intéressant voir comment les pratiques les plus élitistes se mêlent avec l'attelage de loisir.

En Saône et Loire comme aux confins de la Nièvre, c'est en marge des syndicats d'élevage de race que nous avons repéré des " entreprises " qui utilisent les chevaux de trait. L' expérience déjà ancienne des " Attelages du Morvan " était basée au départ sur un projet d'exploitant agricole intégrant l'élevage et l'utilisation du cheval de trait pour évoluer désormais vers une structure d'accueil de tourisme vert (randonnée, gîtes), l'animal devenant ainsi une composante du " produit de tourisme " avec une série d'activités de prestation de services complémentaires. Hors saison touristique l'animateur des " Attelages du Morvan " utilise ses animaux pour des activités de débardage qu'il aimerait étendre à la gestion d'une forêt dans un périmètre protégé. L'expérience des attelages du Morvan est située au cœur d'une région qui comme nous l'avons signalé était peu utilisatrice du cheval de travail, même pour le travail forestier. Il n'est donc pas prisonnier de modèles préexistants, il joue lui même un peu un rôle d'innovateur observé notamment par ses voisins de l'Auxois.

Bien différente paraît être la situation des " Roulottes de Bourgogne " située en lisière du bassin minier, aux confins du Charolais . Inconnue des haras parce que ses animaux sont des percherons " sans papiers " cette expérience a pourtant plus de quinze ans d'existence et joue sur la complémentarité : tourisme vert de petite randonnée pendant la saison d'été et initiation à l'attelage pour les enfants de la zone urbaine voisine.

 

Notes :

28 Lizet, B. , 1989, La Bête noire. A la recherche du cheval parfait, Paris, MSH/ Ministère de la Culture.

29 D'abord l'article paru dans la revue Terrain : Lizet, B., 1990 "Sur le terrain de concours ou l'ethnologue comme acteur social" Terrain, N°15 , pp. 145-155 et Lizet, B., 1996, Champ de blé champ de course, nouveaux usages du cheval de trait en Europe, Jean Michel Place, particulièrement : première route du poisson pp 13-28 et Concours régional d'utilisation , (Autun 1991) pp. 63-72