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Rapport "Chevaux de trait : le retour ?"

II. LES ASSOCIATIONS ET LEURS MEDIAS

3. Conclusion

 

L'objectif d'un retour sur la proposition de typologie des structures œuvrant à la " relance " du cheval de trait est de tenter une interprétation de la diversité et du foisonnement des initiatives (20) et d'affiner la grille de lecture du réseau associatif mobilisé pour la promotion de cet animal. Puis, pour dépasser la dimension plus ou moins figée d'une typologie, cette conclusion reviendra sur les enjeux de la communication. Les courants qui traversent le réseau associatif, les liens qui s'y tissent ou s'y relâchent permettent d'éclairer les évolutions au sein des associations mêmes, alors qu'ils contribuent probablement à l'émergence de nouveaux projets et nouvelles activités.

 

Une typologie d'associations pour illustrer l'histoire proche du monde du cheval de trait.

 

Quand de nouveaux usages du cheval de trait émergent et sont promus, il ne s'agit pourtant pas d'une première relance. Dès le milieu des années 70, un précédent avait en effet visé la transformation du cheval lourd - destiné à alimenter une filière hippophagique déficitaire. Sous l'impulsion des services du Ministère de l'Agriculture et des structures professionnelles agricoles, la production de viande de cheval devait s'organiser sur le modèle de celle des bovins viande (organisation de l'encadrement technique, de la commercialisation, appui financier à l'élevage, rôle du syndicalisme dominant via sa section spécialisée). Cependant, le recul de l'élevage s'accompagne d'une délocalisation sur le territoire national. Si la production de reproducteurs devait demeurer jusqu'à très récemment confinée aux berceaux de race, des zones dites difficiles - régions d'herbage du centre de la France et du Sud Ouest en déprise, accueillaient des juments dans un élevage extensif dont les produits sont destinés à la boucherie (21). Le cheval est ici produit agricole et toujours revendiqué comme tel. Aujourd'hui, les syndicats de race cherchent à la fois de nouveaux débouchés pour leurs produits et tentent de préserver leur maîtrise sur le cheval de trait, dans une étroite collaboration avec les services des Haras Nationaux. L'évolution du contexte les a contraints à adapter leur stratégie (ouverture des Livres Généalogiques aux animaux nés hors berceau, modification des statuts et intégration au sein de leur conseil d'administration de membres non-éleveurs représentants des utilisateurs ou encore création d'une section spécialisée " attelage ", transformation des standards de race, évolution du modèle idéal…). Autant de situations que l'on devine riches en conflits autour de la rencontre de deux grandes tendances, porteuses chacune d'une image spécifique de l'animal, cheval agricole et cheval post-agricole (22).

Alors que la " relance " (du cheval lourd), n'est pas parvenue à enrayer la baisse d'effectifs de juments de trait, le cheval va donc quitter l'exclusive sphère agricole pour devenir patrimoine qu'il convient de sauvegarder. Cette approche patrimoniale, portée notamment par l'association Traits de Génie, est la plus transversale, la plus globalisante. Elle transforme les races de chevaux de trait en véritable patrimoine national, héritage direct des générations précédentes, symbole des racines paysannes et du labeur des générations d'éleveurs. Les associations qui s'inscrivent dans cette vision fédèrent des sympathisants non-éleveurs, le plus souvent non-utilisateurs et citadins. Le rôle des médias est essentiel dans cette mobilisation citoyenne. Hormis la destination bouchère (qui a conduit à l'anormale déformation du corps de l'animal), tous les usages sont à promouvoir dès lors qu'ils participent à la préservation de ce patrimoine génétique qualifié d'exceptionnel.

Des éleveurs de chevaux lourds, souvent agriculteurs qui avaient autrefois connu la traction animale et s'étaient péniblement résolus à ne produire que des poulains de boucherie, se retrouvent aujourd'hui au sein d'associations relativement locales, sur les bases d'un fonctionnement convivial et informel. L'émergence de nouveaux usages du cheval de trait leur a donné l'occasion de consacrer de leur temps à la promotion du cheval de loisir. C'est avec bonheur qu'ils animent désormais fêtes et activités ludiques à destination d'un public rural ou citadin. Alors que ces éleveurs participent à l'animation socioculturelle du milieu rural, le regard que portent sur eux leurs concitoyens a aussi probablement évolué. L'évolution de la destination des chevaux qu'ils élèvent s'est aussi accompagnée de la modification de leurs pratiques (débourrage, attelage) et leur permet surtout de renouer avec un affichage de leur identité professionnelle et de leur utilité sociale auparavant censurées par le tabou de l'hippophagie.

Les associations qui se sont constituées pour défendre la traction animale moderne partagent, outre leur ancrage agricole, un militantisme affiché. Inscrites dans la mouvance de l'agriculture durable elles en privilégient la dimension éthique. Elles se révèlent pionnières de la " relance " du cheval de travail, expérimentatrices et novatrices. Créées sur l'initiative d'un (ou quelques) leader(s) charismatique(s), elles s'opposent à un progrès aveugle et désavouent l'agriculture industrielle et ses conséquences. Le cheval de trait, synonyme d'énergie renouvelable, assure des productions de qualité. Garant de l'autonomie des petits producteurs qu'une mécanisation démesurée condamne, il contribue à limiter la déprise agricole et l'exode rural qui l'accompagne. C'est ainsi que le cheval participe à la promotion du monde rural et de ses acteurs. La modernité est largement revendiquée, entre refus d'une folklorisation des pratiques d'un passé révolu et rejet d'une médiatisation outrancière d'évènements (tels les Routes) sans réelles retombées pour le cheval de trait. La modernité se décline en actions de formation, mais aussi en conception, construction et / ou essais de matériels mus par la force animale. Elle renvoie enfin à un souci de préservation de l'environnement et de qualité de vie. Ces associations évoluent dans des réseaux spécifiques et tissent des liens avec un milieu agricole alternatif (agriculteurs biologiques, Confédération paysanne, double actifs…) et au plan international, avec des Organisations Non Gouvernementales consacrées au développement de pays du tiers monde.

 

Promotion de l'utilisation et soif de reconnaissance, des enjeux de la communication.

 

Les moyens déployés par une association pour se doter de supports médiatiques qu'elle doit ensuite pérenniser semblent relever de deux logiques. D'une part, assurer la cohérence avec les objectifs de la structure. Certaines font en effet de la diffusion de l'information leur priorité. HIPPOTESE en est un exemple. En lien avec sa vocation définie dans ses statuts, son média Hippobulle relate les évènements phares de la vie associative, propose de nombreux articles techniques relatifs à la traction animale et abondance d'informations pratiques sous une forme très sobre. L'essentiel est ici la transmission de contenus. D'autre part, se doter d'un média assure aussi une plus grande visibilité dans le milieu - comme pour mieux affirmer l'existence et l'importance de ceux et ce (23) qu'elles représentent.

Les associations dont le mode de fonctionnement est le plus formalisé relèvent de ces deux logiques. C'est le cas de Traits de génie et des institutionnelles de la production. La sur-représentation relative de ces dernières en termes du nombre de fiches présentées traduit à la fois un certain poids économique de la valorisation agricole du cheval de trait (production de reproducteurs ou de viande chevaline), mais renvoie aussi à la structuration des organismes qui l'encadrent, c'est-à-dire à l'organisation socio-économique de la filière (agricole) cheval de trait (production, commercialisation, organisation des marchés, aides financières aux éleveurs…), en relation avec une certaine dimension économique et des moyens financiers affectés à la transmission d'information.

En effet, une assise territoriale étendue ou un nombre élevé d'adhérents implique la nécessaire diffusion d'un média afin de transmettre l'information et de conforter les liens entre l'association et ses membres. Alors que l'inscription dans des réseaux internationaux ajoute au prestige de l'association, le développement de supports médiatiques élaborés traduit aussi la volonté " d'occuper le terrain " qui a été choisi, d'en tirer une reconnaissance institutionnelle, de promouvoir non seulement le cheval de trait et ses usages privilégiés, mais aussi, à travers lui, l'association.

Les structures qui n'ont pas fait de la communication un axe prioritaire sont plutôt des associations d'implantation locale. Leur mode de fonctionnement convivial et informel privilégie les rencontres et les échanges interpersonnels directs lors des activités pour animer l'étroit réseau qui les fait exister.

 

Ebauche de réseau : échanges interpersonnels et échanges inter associatifs

 

Les relations et les échanges qui se tissent entre les associations s'élaborent à deux niveaux, individuel et collectif. Une caractéristique du monde associatif qui fédère tous ces passionnés du cheval de trait est l'importance du (des) leader(s) (souvent fondateur) d'autant plus marquée que la création de la structure s'inscrit dans un cadre non institutionnalisé ou que son fonctionnement est faiblement formalisé. Dans un tel contexte, le retrait de personnalités charismatiques qui ont créé puis veillé à la destinée d'une association peut parfois impliquer la cessation de toute activité. Cette particularité pourra aussi se traduire par l'impact des rencontres et échanges interpersonnels qui vont contribuer à faire évoluer l'association : Changer sa vocation ou les priorités qu'elle s'était fixées, et par conséquent les usages du cheval qu'elle défend, l'image qu'elle en construit et qu'elle diffuse (24) . En effet, des personnes (25) qui adhèrent à plusieurs associations (dont les objectifs peuvent être très distincts) vont contribuer à des échanges d'information et d'idées, éventuellement susciter mises en contact ou rencontres, initier des rapprochements… Quant aux associations, elles peuvent elles-mêmes adhérer à d'autres structures, voire développer des actions de partenariat. Recueillir l'adhésion d'autres associations va contribuer à renforcer une position de leadership de celle qui fédère, notamment à travers la centralisation puis la rediffusion de l'information. Le média joue ici un rôle essentiel et son impact devient stratégique.

La notion de réseau peut faire l'objet d'une discussion. Certes, les associations sont indépendantes (l'organisation fédérale est exceptionnelle), les initiatives sont multiples, seules quelques structures diffusent régulièrement un support médiatique et l'information apparaît éparse. Cependant, la trame d'un réseau se dessine à la lumière des adhésions ou de la mise en œuvre de collaborations (26). La créativité de ce réseau d'associations en est une dimension importante. L'émergence de nouvelles initiatives peut être cause ou conséquence d'échanges : ré appropriation d'information, nouvelle contextualisation d'idées, transfert de compétences et de savoir-faire, tant au plan technique, animalier qu'administratif (27).

Ici, la fin ne justifie pas les moyens. Une clé fondamentale du rapprochement des associations paraît la poursuite d'objectifs comparables, et surtout la construction d'une image convergente du trait et de ses usages. Des pans de la vie du réseau associatif reposent ainsi sur un jeu sur la distance. Eloignements et rapprochements inter associatifs s'égrènent au fil des actions ou des évènements, au gré de la mise en œuvre de partenariats ou de la cristallisation de conflits, de luttes de pouvoir pour conquérir ou contrer une présence ou représentation (représentation des individus, mais aussi promotion d'un cheval de trait et de son utilisation) hégémonique.

 

Un trait polymorphe au cœur de la vie associative et sociale.

 

Selon la vocation privilégiée qu'elles se sont définie, les associations œuvrent à promouvoir un ou plusieurs aspects et usages du cheval. En débordant largement leur seul cadre statutaire, elles contribuent à imposer un cheval de trait promu bien collectif, presque devenu indispensable et invoqué pour régler divers problèmes de société pour le moins hétéroclites. Aussi, les missions sociales imparties au sympathique et imposant animal sont-elles multiples. Elément de la culture paysanne, il permet à ses admirateurs de renouer avec un passé placé sous le signe de la convivialité et d'une qualité de vie en harmonie avec la nature. Paisible herbivore, il assure l'entretien et la mise en valeur d'espaces écologiquement sensibles. Fidèle compagnon du travailleur, il participe à la réinsertion et à la qualification professionnelles de demandeurs d'emplois comme au nettoyage de villes ou encore à l'entretien de forêts périurbaines. Dans les zones dites difficiles ou soumises à la désertification, il va permettre le maintien de petites exploitations et collaborer à la préservation d'un tissu économique et socioculturel. Compagnon de loisirs, il permet la découverte de circuits touristiques ou culturels et devient un acteur essentiel de l'agrotourisme. Symbole de force et de puissance, il est aussi compétiteur, parfois sportif de haut niveau mis en scène dans des épreuves très médiatisées à destination d'un large public. Animal de compagnie, il retrouve un rôle de médiateur social, suscitant autour de lui rencontres et échanges…

 

Notes :

20 Rappelons le, jamais envisagées de façon exhaustive.

21 Cf. fiches Coopérative Pyrénéenne d'Equidés, Syndicat des éleveurs du cheval Breton

22 Au sujet de l'animal post-agricole, Cf. Lizet, B., 1991

23 En particulier, l'image du cheval de trait qu'elles véhiculent et les usages, les utilisations privilégiées qu'elles défendent.

24 Cf. Fiche association Traits Occitans.

25 Leurs motivations, les autres associations qu'elles connaissent comme le choix délibéré de non-adhésion n'ont pas été abordés dans le cadre de ce travail. Une telle analyse à travers l'exemple des adhérents de quelques associations permettrait d'affiner la connaissance du monde associatif.

26 Comme l'illustre la rubrique 10- Inscription dans des réseaux des fiches proposées.

27 Une autre hypothèse pour expliquer la relative importance des supports médiatiques des structures les plus institutionnalisées est la connaissance des instances et la maîtrise des démarches administratives mobilisées dans l'élaboration de dossiers de financement souvent indispensables à l'émergence des médias.