La traction animale bientôt de retour sur les chemins de halage LE MONDE | 23.01.04 Une société francilienne a imaginé d'utiliser des chevaux pour tirer une péniche sur la Marne. "...en plein soleil, le long du chemin de halage,/Quatre percherons blancs, vigoureux attelage,/Tirent péniblement, en butant du sabot,/Le lourd bateau qui fend l'onde de l'étambot..." Dans son recueil " Promenades et intérieurs", François Coppée (1842-1908), poète dont des générations d'écoliers de "la laïque" ânonnèrent les vers simples dédiés aux humbles, décrit ainsi le labeur des chevaux de traction, le long des voies d'eau. Abandonné depuis un demisiècle, le halage par traction animale va être réexpérimenté par une petite PME, Yprema, installée en Ile-de-France, spécialisée dans le traitement des matériaux de démolition et des mâchefers d'incinération. Avant l'invention du moteur, la traction des péniches a connu diverses formes : l'éclusée, le halage à la "bricole", la traction animale, le touage, puis le remorquage ou le poussage. Pour le halage à la "bricole", le marinier et sa famille s'attachaient à la corde de traction, appelée "bricole", pour tirer le bateau. La traction animale, par chevaux, ânes ou mulets, était surtout pratiquée dans le Centre ; les bêtes appartenaient au marinier, qui les logeait à bord, ou à des charretiers, appelés les "longs jours", qui disposaient de relais, le long des voies d'eau. En 1935, on comptait encore 1 500 bateaux écuries en France. Puis le moteur supplanta les tractions humaine et animale. Les chemins de halage tombèrent en désuétude. En ce début du XXIe siècle, le grand public redécouvre les chevaux de trait, que des passionnés - telle l'association Traits de génie - tentent de sauver de l'extinction en les réutilisant à différents travaux liés à l'environnement. De plus en plus de chemins de halage sont aménagés en parcours de randonnée. UN LABEUR PÉNIBLE Le directeur d'Yprema, Dimitri Jourdan, explique que, dans le cadre du transport alternatif, il a imaginé de faire transporter du mâchefer à bord d'une barge tractée par des chevaux, de l'usine d'incinération de Saint-Thibault-des-Vignes (Seine-et-Marne) jusqu'au centre de retraitement Yprema de Lagny-sur-Marne, sur la même berge de la rivière. Conscient de l'impact que pourrait avoir auprès du public le fait d'employer des bêtes à un labeur considéré comme pénible, Dimitri Jourdan assure avoir tout pris en compte : " La barge, en aluminium recyclé, ne pèse que 100 tonnes. L'attelage comprendra deux chevaux. La distance de transport est courte : quelque 500 mètres !" Pourtant, Bernadette Lizet, chercheuse au CNRS et spécialiste des chevaux, écrivait dans une de ses études : " Deux ou trois ans de traction oblique suffisent à ruiner leurs jambes et leurs épaules car ils fournissent de très violents efforts." (Le cheval dans la vie quotidienne, Editions Berger-Levrault, 1982). Pour Jean-Baptiste Ricard, débardeur en traction animale dont le grand-père a pratiqué le halage en Côte-d'Or, seul le décollage de la péniche est pénible. " Les chevaux doivent alors donner un gros coup de collier. Après, ce n'est plus qu'une traction régulière tout au long du parcours, facilitée par le glissement du bateau sur l'eau. Un angle de traction mobile fixé à un mât permet un contre-balancement dirigé par le charretier et diminue la peine de la bête", précise-t-il. Ali Habib